Emile Zola
sortir un à un de la maison de M. Zola, par petits paquets, pour ne pas éveiller l'attention, et on avait dû les emporter chez un ami, où ils furent un peu plus convenablement emballés dans une malle.
Ce fut donc à Londres que Zola écrivit ce volumineux roman de Fécondité, -titre du premier de ses Quatre Évangiles sociaux, dont il avait conçu l'idée en terminant Paris. La transition était indiquée dans la dernière page de ce livre, où il montre Pierre Froment, l'époux de Marie, debout sur la terrasse de la maison de la Butte Montmartre, prenant son fils, le petit Jean, et l'offrant à Paris, dont le soleil oblique noyait d'une poussière d'or l'immensité, et disant, en montrant au bébé inconscient encore, mais ébloui, la ville du travail et de la pensée :
-«Tiens, Jean ! tiens, mon petit, c'est toi qui moissonneras tout ça, et qui mettras la récolte en grange !»
Zola considérait cet ouvrage, poème en quatre volumes, comme le résumé de son oeuvre, de sa philosophie, une sorte de testament, où il formulerait les conseils de son expérience et de son amour paternel pour tous ceux qui travaillent et qui souffrent. Déjà, les titres étaient choisis : Travail, Vérité, Justice et Fécondité, avec les noms des personnages principaux, menant l'action et personnifiant la pensée de l'auteur. Ces noms étaient ceux des quatre évangélistes, adaptation un peu puérile : Luc était désigné pour Travail, Marc pour Vérité, Jean pour Justice, Mathieu, étant l'apôtre du premier livre : Fécondité.
Ils devaient tous les quatre prêcher et pratiquer l'évangile nouveau, la religion de la maternité, du travail, du vrai et du juste.
Zola définissait ainsi la conception et la portée de cette œuvre d'évangélisation socialiste, que la mort laissa incomplète :
La société actuelle est dans une décadence irrémédiable, le vieil édifice craque de tous côtés. Chacun le reconnaît, non pas seulement les théoriciens du socialisme, mais aussi les défenseurs du régime bourgeois. Le christianisme a fait une révolution qui a bouleversé le monde romain, en supprimant l'esclavage, et en y substituant le salariat. C'était un progrès immense, car il élevait le plus grand nombre à la dignité d'hommes libres. Dans les conflits quotidiens du capital et du travail, le définitif triomphe appartiendra au travail.
Mais dans quelle voie s'engagera le peuple ? quelle parole il écoutera ? celle de Guesde ou de Jaurès ? Je l'ignore.
Mes visions, à moi, d'un avenir meilleur, où les hommes vivront dans une solidarité étroite et parfaite, n'ont pas la rigueur d'une doctrine. C'est une utopie.
Maintenant on a dit que les utopies étaient souvent les vérités du lendemain. Pour écrire Travail, je demanderais à Jaurès de m'expliquer sa conception du socialisme.
Fécondité est l'enfant de la douleur. Je l'ai écrit en exil. Ce livre m'a coûté beaucoup de peine et de temps. J'ai l'habitude d'entasser les matériaux avant de me mettre à écrire.
J'avais donc réuni toute une bibliothèque de brochures spéciales, et ce coup de sonde dans les mystères abominables de la vie parisienne m'a révélé de telles choses que mon ardeur s'en est accrue pour jeter à mon tour le cri d'alarme. Quand mes lectures sont terminées, mes informations prises, je fais mon canevas. C'est le gros morceau de ma tâche, et si les personnages, dont les silhouettes défilent de mon livre, sont nombreux,-c'est bien le cas de Fécondité,-cela devient un casse-tête chinois. J'ai dû établir une centaine de généalogies, donner des noms différents à chacun, un trait personnel, puisqu'il n'y a pas deux êtres qui se ressemblent complètement dans la nature, et leur attribuer, pour ne pas les confondre, une fiche, comme au service d'anthropométrie. C'est un labeur énorme, mais qui, une fois achevé, me facilite grandement l'exécution de mon roman.
Je travaille, en effet, chaque jour, depuis trente années, un nombre d'heures déterminé. Mon canevas m'a rationné ma besogne, que j'appelle mon pain quotidien. Je n'ai pas besoin de me souvenir de ce que j'ai écrit la veille, et je ne me préoccupe pas de ce que je devrai faire le lendemain. Le chaînon se soude de lui-même, et la chaîne se déroule et s'allonge.
Mes recherches étaient terminées, toutes mes notes en ordre, lorsque le second procès de Versailles m'obligea à précipitamment Paris. Je
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