Emile Zola
disposait à le suivre à son hôtel. Il fut obligé de sauter dans un cab, et de fuir en donnant au cocher une fausse adresse.
Un journaliste anglais, M. Vizitelly, qu'il connaissait de longue date et qu'il avait averti de son arrivée, lui servit de truchement et lui procura une chambre, à Wimbledon, aux environs de Londres, chez un solicitor, un M. Wareham. Là, Zola ne parut pas en sûreté. Le restaurateur chez lequel il prenait ses repas, un Italien nommé Genoni l'avait reconnu, mais ne le trahit point. Un coiffeur, qui avait travaillé à Paris, un journaliste venu pour interviewer firent savoir discrètement à Wareham et à Vizitelly qu'ils savaient que Zola était à Wimbledon. Il fallut déménager de peur qu'un huissier français, accompagné de détectives et sous la garantie d'un notaire anglais, ne vînt lui signifier, parlant à sa personne, l'arrêt par défaut. Ce fut dans un village, à Oatlands, où le roi Louis-Philippe avait cherché asile, cinquante ans auparavant, après la révolution de février, que Zola rencontra un abri plus sûr.
À Oatlands, Zola reprit son existence de travailleur. Il semblait se détacher même des événements qui se passaient à Paris.
M. Vizitelly a donné, dans l'Evening News, sur son séjour à Oatlands, les curieux détails suivants :
À cette époque, M. Zola ne paraissait pas se soucier beaucoup de lire les journaux. Chaque fois que j'allais en ville, je me procurais quelques journaux français et me hâtais de les expédier par la poste, à Oatlands. M. Desmoulins, dont la fièvre dreyfusarde était alors plus forte que jamais, les dévorait d'un bout à l'autre. Mais M. Zola n'y jetait même pas un coup d'oeil, et se contentait des nouvelles que lui rapportait son compagnon d'exil.
Tous les soirs, M. Zola descendait dîner à table d'hôte, et il trouvait occasion d'y exercer ses facultés d'observation. C'est ainsi qu'il fut profondément étonné de la facilité et de la fréquence avec laquelle certaines jeunes filles anglaises approchaient leur verre de leurs lèvres. Il demeurait abasourdi en les voyant sabler, de la façon la plus naturelle du monde, du moselle, du Champagne ou du porto, alors qu'en France les jeunes filles boivent de l'eau, à peine rougie par un peu de Bordeaux. Son étonnement se changea en ahurissement, lorsqu'il vit des messieurs, laissant à leurs femmes et à leurs filles le vin, boire à pleines gorgées du whisky pendant leurs repas.
Une autre observation, que put faire M. Zola, fut relative aux chemises anglaises. Il en avait acheté quelques-unes à Weybridge, dans les environs d'Oatlands, et il ne tarda pas à se plaindre de leurs proportions exiguës. Le Français, qui aime en général ses aises, et fait des gestes en parlant, est en effet habitué aux chemises amples.
Il n'en est pas de même de l'Anglais, dont le chemisier semble avoir toujours peur de gaspiller quelques millimètres de toile, et qui vous taille votre linge pour ainsi dire sur mesure. En conséquence, M. Zola tonnait contre la chemise anglaise qui, disait-il, «était non seulement inconfortable, mais même indécente».
Pendant tout ce temps, Mme Zola était restée seule à Paris, dans sa maison de la rue de Bruxelles, à la porte de laquelle des agents de la Sûreté continuaient à monter la garde. Mme Zola était suivie partout où elle allait, l'idée étant qu'elle ne tarderait pas à suivre son mari à l'étranger. Mais Mme Zola avait bien d'autres occupations à Paris, quand ce n'eût été que d'expédier à son mari les vêtements dont il pouvait avoir besoin et les matériaux qu'il avait recueillis pour son nouveau livre, et qu'il avait dû abandonner dans sa fuite.
M. Zola avait, en effet, résolu de tromper les ennuis de son exil en travaillant à sa nouvelle oeuvre, Fécondité. Il ne se doutait pas, alors, que toute l'oeuvre serait écrite en Angleterre, que son exil durerait des mois et des mois, que l'hiver succéderait à l'été, le printemps à l'hiver, et qu'il verrait encore une fois l'été.
Nous lui disions sans cesse : «Dans quinze jours ce sera fini ; dans un mois au plus.» Et les chapitres s'ajoutèrent aux chapitres ; il finit par y en avoir une trentaine ; l'oeuvre était terminée.
C'est M. Desmoulins qui apporta les matériaux nécessaires : notes, coupures, oeuvres scientifiques, etc. Il apporta, en même temps, une malle pleine de vêtements. On avait dû les
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