Emile Zola
réels, dans notre pays du moins. Ils sont loin d'être sympathiques, comme les a voulus pourtant l'auteur. On éprouve même une sorte de répugnance à voir, à chaque chapitre, cette mère gigogne vêler, ou donner le sein à un nouveau petit. Elle en a quatorze d'affilée. C'est une incontinence génératrice. La mort, qui d'ailleurs sévit normalement dans son étable, lui prend quatre de ces produits ; il lui en reste un stock de dix. Tous ces bambins se suivent en flûte de Pan, donnant l'apparence, quand on les promène, d'une petite classe de pensionnat en sortie. Tous joufflus et robustes. Ils sont laborieux, comme le père de Fécondité. Tous font fortune. Tous sont des étalons vigoureux, se mariant avec des filles qui sont toutes fécondes, capables de peupler une île déserte en quelques années. Ils exercent tous des professions avantageuses et bourgeoises, sauf deux, cultivateurs comme leur père.
Pas un n'est soldat.
Zola ne s'est d'ailleurs nullement préoccupé de la vraisemblance dans son manuel de puériculture intensive. Il fait de son taureau Mathieu, d'abord dessinateur dans une usine, un paysan par vocation, rude défricheur de bois, de marécages et de landes incultes, acquérant rapidement la fortune terrienne, devenant un grand propriétaire, quelque chose comme le roi du blé, de l'avoine et du seigle dans son département. Tout lui réussit : soit qu'il ensemence la terre, soit qu'il laboure son épouse. Tout crève et se désagrège autour de lui, chez les gens de la ville, banquiers, usiniers, grandes dames, boutiquiers, employés, même la ruine vient au moulin de son voisin, un rural pourtant, parce que tous ces gens-là sont avares de semailles humaines, et ne font qu'un ou deux enfants à leurs femmes. Ils souffrent, tous ces malthusiens, et se trouvent justement punis, quand la mort frappe à leur porte et vient frôler les berceaux, n'ayant pas, comme Mathieu et Marianne, des bébés de rechange.
Des pages puissantes, et d'une haute portée sociale sur les louches maisons d'accouchements, où l'on pratique l'avortement à seringue continue, et surtout sur les bureaux de nourrice, et les meneuses, ces grands pourvoyeurs de la mortalité infantile, sur le trafic abominable des nourrissons qu'on envoie au loin dans des villages meurtriers, qui ne sont que des cimetières de petits Parisiens, donnent de l'intérêt, et une haute portée moraliste à ce livre, dont la thèse principale est juste, mais exagérée et rendue presque insupportable. Zola a aussi très vivement dénoncé la fâcheuse manie de l'opération chirurgicale, mettant la femme à l'abri des charges de la maternité, opération si légèrement consentie, et recommandée avec tant de désinvolture par les praticiens à leurs belles et inquiètes clientes.
C'était devenu une fureur, une manie, cette ablation sexuelle. «Mais les ovaires, ça ne se porte plus, ma chère !» disait une de ces opérées à une bonne amie, qu'elle s'efforçait de conduire chez le châtreur à la mode. La peur de l'enfant, beaucoup plus que le souci de la guérison d'un kyste tenace, guide la plupart de ces femmes, qui vont prier un médecin de les débarrasser du chou sous lequel on récolte les bébés. Il y a là en effet un mal social, et le blâme de l'écrivain, compliqué de la terreur qu'il inspire en faisant de la décrépitude prématurée, ou de la mort soudaine, la punition de l'opérée, peut être d'un salutaire effet.
Zola a donc rempli une bonne besogne de moraliste, d'hygiéniste et d'éducateur social, quand il a montré, avec quelque exagération sans doute, mais en des tableaux violents et véridiques les ravages de l'infécondité artificielle due à l'intervention chirurgicale, les inconvénients de la fraude conjugale au point de vue de la santé, la perte que ces pratiques, et aussi l'allaitement mercenaire et l'envoi des nourrissons au loin, dans des repaires d'ogresses cupides, faisaient courir à la société. La surveillance des nourrices campagnardes, plus sérieuse et plus efficace, et l'exhortation aux mamans de nourrir elles-mêmes leurs poupons, voilà des pages excellentes. Les législateurs, les philosophes, les économistes et tous ceux qui se montrent inquiets de la lente dépopulation observée, en France, depuis de nombreuses années, ne peuvent qu'approuver le principe de la doctrine et de l'enseignement de Fécondité.
On peut toutefois contester, au moins tant que l'ordre social et
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