Emile Zola
pierres d'assises, le Travail, non plus mercenaire et forcé, mais volontaire et gratuit, puis le partage, comme au foyer familial actuel entre tous les enfants égaux, de la table, du logement, des vêtements, des plaisirs aussi ; l'amour, l'amitié, la concorde régneront parmi les habitants de la planète pacifiée, et mieux aménagée pour les besoins et les satisfactions de tous.
Ce sont de bien beaux rêves ! La crédulité socialiste, adéquate à celle des croyances religieuses, se berce par ces agréables sornettes et croit au paradis collectiviste, comme on a cru au ciel d'Indra, au walhalla d'Odin, au harem céleste de Mahomet, au séjour des bienheureux chrétiens, où le Très-Haut préside sur son siège de nuées, entouré de sa cour de Trônes et de Dominations. Il faut à l'humanité, toujours enfantine, des contes fantastiques, des légendes, des miracles, et on lui promet toujours le même paradis ; il n'y a que le décor et le nom des bienheureux qui changent. Le paradis socialiste, qu'on nous annonce, est tout autant séduisant, et tout aussi fantastique que celui des péris, des valkyries, des houris et des archanges androgynes, commandés par le porte-glaive Michel, et notre confiance naïve est toujours la même.
Il est doux, cependant, de s'imaginer un instant, en lisant Travail, Vérité, Fécondité, ces Bibles optimistes et fallacieuses comme les Védas, les Corans et les autres livres religieux, que nos descendants connaîtront toutes ces jouissances, et vivront de l'existence idéale et triomphale annoncée, préparée, léguée par Luc, Marc et Mathieu Froment. L'auteur, qui a conçu et exécuté ces programmes merveilleux, était décidément un brave homme, souhaitant le bonheur pour tous. Il avait l'âme d'un saint Vincent de Paul, le seul Saint dont le peuple ait raison de garder la mémoire.
Sa philosophie peut paraître enfantine, mais elle est plutôt consolante.
Heureux ceux qui peuvent espérer le paradis socialiste décrit et promis par Zola, le paradis de Fécondité, de Travail et de Vérité !
Malheureusement, pour beaucoup d'entre nous, après avoir déposé ces livres fabuleux, ces contes des mille et une nuits démocratiques, un seul paradis est certain, de tous ceux qu'a conçus l'imagination des hommes, et qu'a acceptés la superstition des foules dans son horreur du vide final, dans l'instinctif effroi de la suppression de tout, c'est le Nirvâna divin, le Nirvâna bouddhiste absolu.
Zola, vaste et puissant esprit, ouvert à tout ce qu'il y a dans l'univers de bon, dans la nature de fécondant, repoussait comme un mensonge éternel la seule vérité vraie : le Néant. Il ne concevait pas la possibilité de l'oméga de l'alphabet humain, pas plus que la fin de l'alphabet de l'univers, dont les lettres, hasardeusement assemblées, doivent pourtant un jour fatalement se disperser, et ne plus offrir aucun sens, aucune forme. La matière sans doute demeurera éternelle, mais elle retournera à son amalgame primitif et chaotique, sauf à subir, dans l'Incommensurable, de nouvelles décompositions, et à façonner à l'aventure des univers neufs et semblablement périssables, dont nous ne pouvons ni connaître, ni même soupçonner la composition et la destinée. Là seulement est la vérité ; tout s'anéantira de ce que nous voyons, de ce que nous faisons, de ce que nous savons. Quant au bonheur, il ne saurait être que relatif, et le Socialisme, comme les autres religions, ne peut que promettre, et non tenir. C'est tout de même une bonne action que de chercher à persuader, comme l'a fait l'auteur de Travail, avec une éloquence admirable et une assurance qui en impose, qu'un jour viendra où les travailleurs seront tous heureux.
Cette foi mensongère aide, comme autrefois la croyance à la vie paradisiaque, à la justice de Vichnou, d'Allah, du bon Dieu, à supporter la misère présente, la fatalité quotidienne du malheur. «Ceux qui pleurent seront consolés, ceux qui ont faim seront rassasiés...» voilà ce que promet à la pauvre humanité la philosophie des évangélistes anciens.
C'est la même promesse que font les évangiles de Zola. Il n'y a que sur l'endroit où s'accompliront ces merveilles, que les synoptiques et les apôtres zolistes ne sont pas d'accord : les uns désignent l'avenir, comme les autres le ciel. C'est bien lointain, bien vague aussi. Enfin, si la foi ne sauve pas toujours, la crédulité prévient le désespoir, et c'est là
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