Emile Zola
plus de travail possible sur cette terre !
Je me suis toujours méfié de la chimère, je l'avoue. Rien n'est moins sain pour les peuples que de rester dans la légende, et de croire qu'il suffit de rêver la force pour être fort. Nous avons bien vu à quoi cela mène, à quels affreux désastres.
On dit au peuple de regarder en haut, de croire à une puissance supérieure, de s'exalter dans l'idéal. Non ! non ! C'est là un langage qui, pour moi, semble impie. Le seul peuple fort est le peuple qui travaille, car le travail donne le courage et la foi.
Pour vaincre, il est nécessaire que les arsenaux soient pleins, que l'armée soit ensuite confiante en ses chefs, et en elle-même. Tout cela s'acquiert, il n'y faut que du vouloir et de la méthode.
Le prochain siècle est au travail, et ne voit-on pas déjà dans le socialisme montant s'ébaucher la loi sociale du travail pour tous, du travail régulateur et pacificateur.
Je vais finir en vous proposant, moi aussi, une loi, en vous suppliant d'avoir la foi au Travail. Travaillez, jeunes gens. Je sais tout ce qu'un tel conseil semble avoir de banal. Il n'est pas de distributions de prix où il ne tombe parmi l'indifférence des élèves, mais je vous demande d'y réfléchir, et je me permets, moi qui n'ai été qu'un travailleur, de vous dire tout le bienfait que j'ai retiré de la longue besogne dont l'effort remplit ma vie entière. J'ai eu de rudes débuts ; j'ai connu la misère et la désespérance. Plus tard j'ai vécu dans la lutte ; j'y vis encore, discuté, nié, abreuvé d'outrages. Eh bien ! je n'ai eu qu'une foi et qu'une force, le travail. Ce qui m'a soutenu, c'est l'immense labeur que je m'étais imposé. En face de moi, j'avais toujours le but vers lequel je marchais, et cela suffisait à me remettre debout, à me donner le courage de marcher quand même, lorsque la vie mauvaise m'avait abattu.
Le travail dont je parle, c'est le travail réglé, la tâche quotidienne, et le devoir qu'on s'est fait d'avancer d'un pas chaque jour dans son oeuvre. Que de fois, le matin, je me suis assis à ma table, la tête perdue, la bouche amère, torturé par quelques grandes douleurs physiques ou morales, et chaque fois, malgré les révoltes de ma souffrance, après les premières minutes d'agonie, ma tâche m'a été un soulagement et un réconfort.
Toujours je suis sorti consolé de ma besogne quotidienne, le coeur brisé peut-être, mais debout encore. Le travail, Messieurs, mais songez donc qu'il est l'unique loi du monde, le grand régulateur ; la vie n'a pas d'autre sens, pas d'autre raison d'être. Nous n'apparaissons chacun que pour donner notre somme de labeur et disparaître !
On ne peut définir la vie autrement que par ce mouvement de communications qu'elle reçoit et qu'elle lègue.
On remarquera la déclaration patriotique contenue dans ce passage du beau discours de Zola. À rapprocher de ce qui a été dit plus haut dans l'analyse de la Débâcle. À noter aussi que, dans les trois Évangiles même dans Vérité, dont le sujet est l'affaire Dreyfus transposée, il n'y a pas une phrase, pas un mot, qui puissent passer pour une négation du sentiment patriotique, même pas un dédain envers l'armée, pas une flatterie aux anti-militaristes.
Zola a renouvelé son hommage au Travail à une fête de félibres, donnée à Sceaux, en invoquant la gaieté, qui est la force de la vie.
La gaieté, c'est l'allègement de tout l'être, c'est l'esprit clair, la main prompte, le courage aisé, la besogne facile, les heures satisfaites, même lorsqu'elles sont mauvaises, c'est un flot qui monte du sol nourricier, qui est la sève de tous nos actes. C'est la santé, le don de nous-même, la vie acceptée dans l'unique joie d'être et d'agir. Vivre, et en être heureux, il n'est pas d'autre sagesse pour être. J'en parle, du reste, Messieurs, dans le grand regret d'un homme qui n'a guère la réputation d'être gai.
J'en parle comme un souffrant
parle de la guérison. Je voudrais ardemment que la jeunesse qui pousse fût gaie et bien portante. Je n'aurais même que l'excuse d'avoir beaucoup travaillé, avec la passion des forces de la vie. Oui, j'ai aimé la vie, si noire que je l'ai peinte. Et quelles montagnes ne soulèverait-on pas, si, avec la foi et le travail, on apportait la gaieté !...
Cet appel à la gaieté, c'était aussi le souhait de Renan, lorsqu'il préconisait, aux dîners
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