Emile Zola
celtiques, la bonne humeur, cette bienfaisante disposition, parfois innée, mais qu'il est besoin souvent aussi d'acquérir, et qu'il est sage de développer, d'entretenir. Ces deux fragments de discours affirment le tempérament optimiste et confiant de ce Zola, dont on a voulu faire un misanthrope, toujours penché vers les désespérances, et sans cesse hanté par le spectacle du laid, par la représentation du mal.
Malgré ses sentiments d'indépendance, et ses goûts d'isolement, son horreur des cohues, des cérémonies, des banquets, des réceptions et des milieux mondains, malgré son dédain, peut-être moins réel qu'il ne le prétendait, des présidences, des honneurs officiels et des dignités, Zola accepta parfaitement d'être, à un moment donné, nommé président de cette société des Gens de Lettres à l'écart de laquelle il s'était si longtemps tenu. Alphonse Daudet et Ludovic Halévy y furent ses parrains. Il s'acquitta avec sa ponctualité ordinaire de ses fonctions présidentielles.
Il entrait même si bien dans la peau du personnage, chargé de veiller avaricieusement sur les intérêts de la société, qu'il lui arriva de prononcer, sans sourciller, des sentences qui devaient le blesser dans ses sentiments humanitaires, dans ses tendances vers un socialisme éducateur et généreux. Ainsi, je dus un jour comparaître devant lui, comme sociétaire, à la suite d'une infraction aux règlements. J'avais laissé reproduire, par le journal le Parti ouvrier, un de mes articles, et cet organe socialiste n'avait pas de traité avec les Gens de Lettres.
Je refusais de donner mon pouvoir à l'avoué de la Société, et de laisser poursuivre ce journal en justice. Zola m'appliqua sans hésiter la pénalité au maximum, pour les infractions de ce genre, cinq cents francs d'amende, bien que je fusse un ami personnel de longue date, et qu'au fond il dût approuver le cadeau que j'avais fait à ce journal populaire, et peu millionnaire, de mes articles reproduits dans un but de propagande républicaine. Mais il défendait strictement les intérêts financiers de la Société qui l'avait mis à sa tête.
Il accepta pareillement, avec grande satisfaction, la Croix de la Légion d'honneur (14 juillet 1888), puis la rosette d'officier.
Enfin, et ceci peut paraître plus surprenant, il voulut être de l'Académie, et plusieurs fois il se présenta, sans succès, apportant à cette tentative l'opiniâtreté qu'il mettait dans toutes ses entreprises. Il a motivé sa résolution dans une lettre écrite au moment où les journaux ébruitèrent la nouvelle de sa décoration, décidée par le ministre Édouard Lockroy.
Personne, dans son entourage, n'était averti ; quelques-uns de ses intimes s'étonnèrent, peut-être plus qu'il ne l'avait pensé, de cette soumission à une récompense gouvernementale. Auprès de l'un d'eux, il s'en excusa, en donnant ses raisons par la curieuse lettre suivante qui fait prévoir sa candidature, lors d'une prochaine vacance académique :
Oui, mon cher ami, mandait-il en juillet 1888, j'ai accepté, après de longues réflexions, que j'écrirai sans doute un jour, car je les crois intéressantes pour le petit peuple des lettres, et cette acceptation va plus loin que la croix, elle va à toutes les récompenses, jusqu'à l'Académie. Si l'Académie s'offre jamais à moi comme la décoration s'est offerte, c'est-à-dire si un groupe d'académiciens veulent voter pour moi et me demandent de poser ma candidature, je la poserai, simplement, en dehors de tout métier de candidat. Je crois cela bon, et cela ne serait d'ailleurs que le résultat logique du premier pas que je viens de faire...
Il n'allait pas tarder à faire le second, et même une suite de faux pas devait caractériser cette persistance à vouloir entrer à l'Institut, qui n'eut d'égale que celle des gardiens à lui en refuser la porte.
Il précisa son désir dans une lettre adressée au rédacteur en chef du Figaro, lors d'une élection où il avait Paul Bourget pour concurrent. Il expliqua sa conduite, en même temps qu'il exprimait de nobles sentiments de confraternité :
Paris, le 4 février 1893.
Mon cher Magnard,
Je n'entends barrer la route à personne. Rassurez-vous donc sur le sort de Bourget, que j'aime beaucoup. Je le prie ici publiquement de poser sa candidature au prochain fauteuil, sans s'inquiéter de moi.
Battu pour battu, il me sera doux de l'être par lui.
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