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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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fils, reprit Frère
Antoine, son petit œil attaché sur les chambrières qui nous servaient, peu nous
sert de nous cacher à nous-mêmes devant le Seigneur qui voit tout, que nous
sommes faits d’argile merveilleusement fragile, que notre chair est d’une
faiblesse extrême, que le démon nous guette sous chaque corps de cotte qui remue
et palpite (mais ce-disant, il ne baissait pas les yeux, bien au contraire),
que cette maison est, au demeurant, fort accueillante (il soupira), qu’on y
fait bonne chère, qu’on y boit du meilleur, et qu’enfin ces brunes et vives
garces m’ont l’air trompe – Dieu fasse que je me trompe ! –
accoutumées à jouer de la croupière à tout venant.
    Il soupira derechef.
    — Demain, mon fils – et,
tourné vers moi, fronçant ses épais et impérieux sourcils, il me perça tout
soudain de son petit œil noir –, je vous entendrai en confession.
    Ha, le traître ! Il tâchait de
me prendre sans vert ! Sa suspicion n’était point éteinte, comme il
l’avait dit, le cagot ! Il me tenait en suspicion, et sachant combien les
huguenots tenaient la confession auriculaire en horreur il me tendait ce
méchant piège !
    — Frère Antoine, dis-je, lui
faisant bon visage, quoique j’en eusse, je ne puis dire encore si ma nuit sera
innocente, mais si elle ne l’est point, comptez que je ferai demain appel à vos
bons offices pour me laver de mes péchés.
    Étrange méthode, pensai-je en mon
for, cependant. On pèche, on lave, on recommence. Mais je ne pus penser plus
outre. Le Baron de Caudebec poussa une grande hurlade et, la main sur sa gorge,
se leva, criant qu’il se mourait, qu’une énorme arête s’était fichée au travers
de son gargamel, et qu’on dépêchât sur l’heure un chevaucheur pour quérir un
barbier. Sur l’heure, sanguienne ! À l’instant, Pâques Dieu ! Ou il
tuerait tout dans cette maison du Diable, cuisinier, marmitons, gâte-sauce,
garces, et jusqu’à l’alberguière !
    Me levant alors, je le priai de se
calmer. Je lui remontrai que le temps qu’on passerait à mettre la main sur un
barbier, ce jour d’hui étant un dimanche, il aurait de grandes heures à pâtir,
mais que s’il voulait bien s’asseoir, ouvrir la bouche, et montrer quelque
patience, je ferais ce que je pourrais. Il consentit. Je me fis apporter un
calel pour éclairer le fond de sa gorge – ce gouffre puait fort, à ce jour
je me le ramentevois –, et aperçus l’arête plantée dans la chair à un
demi-pouce derrière la luette. Je taillai alors deux longues baguettes de bois,
en formai les terminaisons en spatules, puis m’en servant conjointement comme
d’une pince, réussis à extraire la cause fort mince de ce grand tumulte.
    Caudebec n’en crut pas ses sens quand,
entonnant tout un pichet de vin pour se remettre, il ne sentit plus de pâtiment
en son gargamel.
    — Sanguienne ! cria-t-il
en se levant, c’est miracle ! Sainte Vierge Marie, merci ! Et toi,
reprit-il en me baillant une grande brassée qui manqua m’étouffer, toi mon
docte et jeune ami, à ce jour mon fils véritable, car mon fils par le sang
n’est, comparé à toi, qu’un grand niquedouille qui à peine connaît sa dextre de
sa senestre, ânonne son livre, écrit pis que moi-même, ne songe qu’à courir le
renard, à se bâfrer, à s’enivrer, à opprimer le laboureur, à braquemarder les
chambrières. La peste soit de ces ignoramus ! Il eût laissé périr son
pauvre père en ses tourments ! Monsieur de Siorac ! C’est la Vierge
et les Saints qui vous mandèrent céans ! C’est le Ciel qui vous a fait
apparaître sur cette escabelle pour sauver un pauvre pécheur ! Mon gentil
truchement, mon gracieux cousin, mon éternel et immutable ami, que veux-tu
comme salaire pour ce service d’immense conséquence pour la Baronnie de Caudebec ?
Requiers ! Tout est à toi !
    Et montrant combien un Baron normand
peut gasconner tout autant qu’un homme de langue d’oc, il poursuivit :
    — Parle ! Que
veux-tu ? Ma bourse ? Mon cheval ? Ma fille ?
    — Fi donc ! dis-je en
riant. Votre fille pour une arête ?
    — Ma fille ? Mais c’est
que je n’ai pas de fille ! s’écria Caudebec, se gaussant de lui-même et de
moi à sa façon normande, qui n’était point si lourde, bien qu’elle fût un peu
rustre.
    — Eh bien, dis-je enfin,
puisque vous parlez fille…, et m’approchant de lui, je lui glissai quelques
mots dans le pavillon cramoisi de sa

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