En Nos Vertes Années
pauvrette, étant
aussi paillard que dévot, à ce que j’eus tout loisir de voir, demeurant avec
lui un demi-mois, comme je dirai.
— Mon ami ! cria-t-il
après ces embrassements, votre pourpoint est tout taché de la poussière de
votre chute. Holà ! Page ! Ôte au gentilhomme son pourpoint et le
brosse ! Page ! Sanguienne ! Le maraud dort encore ! Pâques
Dieu je m’en vais l’étriper !
À vrai dire, il se contenta d’un
soufflet que le drolissou esquiva, non sans crier comme un porc qu’on égorge.
Se jetant alors sur moi, le page me quitta le pourpoint en un éclair et l’emporta,
car bien loin de dormir, le coquinasse était vif comme mercure, menteur,
effronté, jouant mille tours à tous, et bien fendu de gueule hors d’ouïe de son
maître. C’était merveille, au demeurant, de le voir, posté derrière le Baron,
attraper au vol les os à demi mangés que celui-ci jetait par-dessus son épaule.
Non que ce fût là sa seule provende. Car il larronnait aussi dans les écuelles
des pèlerins et leur pillait sous le nez les morceaux de choix dès qu’ils
tournaient la tête. Ce page s’appelait Rouen, de la ville où il était né, et
bien que ce fût là une étrange façon d’appeler un chrétien, je ne lui ai pas
connu d’autre nom. Il avait l’œil vert, et sur le chef une forêt de cheveux
rouges si roides et si redressés qu’aucun peigne au monde n’eût pu les
testonner.
Mais je poursuis. Le pourpoint
quitté, je m’assis dans ma chemise sur l’escabelle entre le Baron et un moine
trapu et large, avec des sourcils noirs fort épais qui lui barraient le visage
en deux. Le bon apôtre mangeait fort reculé de la table en raison de la bosse
que faisait sa bedondaine au bas de son large poitrail.
— Monsieur de Siorac, dit le
Baron en broyant du palais et de la langue une longue saucisse de Bigorre qu’il
avait tout entière enfournée, ce moine-ci est Frère Antoine – phrase qu’il
prononça en ayant la bouche pleine : ce boine-ci est brère Anboine. Puis
la saucisse enfin dépêchée, il lampa d’un coup son gobelet pour la diluer et
reprit : Frère Antoine a mon entière fiance. Il est fort savant. Il a
licence de confesser, et je lui ai baillé le gouvernement spirituel de nos bons
pèlerins.
Frère Antoine me fit un salut de la
tête d’un air bénin, me perçant cependant de son petit œil noir en levant ses
épais sourcils. Ha ! Me pensais-je, se méfier de ce frère ! Peut-être
flaire-t-il en moi le huguenot : il me faudra prendre garde.
— Ce vin-là n’est des
pires ! cria le Baron en posant son gobelet et en saisissant à pleine main
une seconde saucisse au lieu de la prendre avec délicatesse entre le pouce et
l’index, comme Barberine, qui aimait la politesse, m’avait appris à le faire.
Ayant fourré sa prise tout entière
dans sa bouche, le Baron reprit :
— La raison, Monsieur de
Siorac, qui fait que je pèlerine est que ma pauvre femme se languit, hélas, de
fièvre lente et continue en mon château de Caudebec. Mon ami, vous l’avez
deviné : je m’en vais à Rome demander à notre Saint Père le Pape de prier
la Vierge Marie qu’elle intercède auprès du Divin Fils pour la guérir.
Quelle idolâtrie ! Pensai-je,
et que d’intercesseurs : le Pape ! Marie ! Et pourquoi ne point
prier Dieu tout bonnement, ou par la seule médiation du fils, comme il est dit
dans les Évangiles ? Mais sentant sur moi le petit œil noir, guetteur et
perçant de Frère Antoine, je restai coi, et pris une mine des plus confites.
— Monsieur de Siorac, dit alors
Frère Antoine sur le ton le plus doux, n’avez-vous point quelque appréhension
d’aller étudier la médecine en Montpellier, où les hérétiques tiennent le haut
du pavé et grouillent comme guêpes au nid ?
— Le bon chrétien ne craint pas
le Diable ! dis-je en souriant.
— Ha ! C’est parlé,
cela ! cria le Baron. Holà, garce, du vin !
Mais la chambrière qu’il hélait
ainsi fit l’oreille sourde, et bien je comprenais pourquoi.
— Monsieur mon truchement, dit
le Baron en se tournant vers moi, bien me plaît cette garce par-dessus toutes
les autres, comme je le lui ferai cette nuit assavoir. Dites-lui donc de
m’apporter son vin céans et sur l’heure, si elle ne veut point que je lui
découpe ses tétins en lamelles.
— Je vais lui aller dire,
dis-je en me levant, fort aise d’échapper à l’œil de Frère Antoine et
d’approcher une aussi
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