En Nos Vertes Années
vous, le ménage de notre bourse, et à moi, le
commandement de notre petite troupe, m’avisant seulement d’écouter les conseils
de Miroul qui, mieux qu’aucun autre, connaît les gueux des grands chemins.
Ici, Miroul, loin de pincer sa
viole, baissa la tête fort tristement, sa famille tout entière ayant été, dans
le plat pays, égorgée sous ses yeux par une bande de ces méchants – sort
qu’il eût partagé s’il n’avait eu l’esprit de se cacher dans le foin de la
grange.
— Mais, dit Samson, rompre le
pain avec ces sanguinaires papistes, qui ont envoyé tant des nôtres au
bûcher !
— Sanguinaires, dis-je, ils
l’ont été, et pourraient le redevenir. Mais pour l’heure, une sorte de paix
règne entre eux et nous. Ce sont bonnes gens, au reste, que ces Normands, bien
qu’ils soient idolâtres. Laisse-moi faire, gentil Samson.
— Mais, dit Samson, ouvrant
tout grands ses yeux azuréens et les fixant sur moi avec un air de douce bonne
foi qui me gonfla le cœur, je ne sais pas feindre, tu le sais.
— Je le sais, dis-je en lui
mettant le bras sur l’épaule. Je feindrai donc pour deux. Quant à toi, Samson,
tu ne piperas mot, étant atteint, dirai-je, d’une fièvre lente et continue, et
Miroul te gardera, répondant à toutes les questions qu’on lui fera par les
accords de sa viole. Qu’opines-tu, Miroul ?
— Monsieur mon maître, dit
Miroul, je me trouve de penser que vous avez raison. Il y a moins péril pour
nous au sein de ces papistes que réduits à nos seules forces sur les grands
chemins.
— Mais que feront-ils s’ils
nous découvrent ? dit Samson.
— Rien, je gage. Le Baron est
rufe, mais point cruel.
On frappa à la porte. Miroul ouvrit,
et la brune Franchou apparut, un lourd plateau dans les mains.
— Ma maîtresse, dit Franchou,
son œil luisant me cherchant dès l’entrée, ne sait où vous mettre pour le
souper, mes nobles Moussus, la grande salle étant tout occupée par ces pèlerins
du Nord.
— Mais c’est fort bien ainsi,
dis-je.
Et m’arrangeant pour tourner le dos
à Samson, j’aidai Franchou à porter sa charge jusqu’à une petite table près de
la fenêtre, encore que le jour étant tombé, et le papier huilé laissant passer
peu de lumière, cette position était moins un avantage pour le manger que pour
les regards que nous échangeâmes.
— Garce, dis-je, ne voulant pas
la nommer devant mon frère, je vais dépêcher mon repas. Dès que tu seras
toi-même libérée de ton ouvrage, viens me dire si le Baron de Caudebec a besoin
de mon truchement.
Elle comprit au quart de mot, et son
œil noir, luisant et vif, me le fit bien savoir.
— J’obéirai, mon noble Moussu,
dit-elle en plongeant jusqu’à terre, mais l’œil point du tout aussi humble que
sa révérence.
Les viandes étaient succulentes,
mais bien que je mangeasse de friand appétit, mon attention était
ailleurs : je tendais l’ouïe vers le couloir, où des pas résonnaient, mais
tous fort lourds et trébuchants : les pèlerins s’en allaient dormir. Ce
que fit d’ailleurs mon gentil Samson, le dernier gobelet de vin avalé, couché
dans sa vêture sur le bord extrême du lit pour laisser place à nos hôtes.
— Miroul, dis-je à voix basse,
quand ces bonnes gens viendront – Dieu fasse qu’ils ne soient ni trop
carrés d’épaule, ni trop ronds de la taille –, dis-leur de rester cois
pour ne point réveiller Samson.
— J’y veillerai, Moussu, dit
Miroul, et je ne sais comment diable il faisait, mais dans les moments où il
s’égayait sans le vouloir dire ni montrer, son œil bleu restait froid tandis
que son œil marron pétillait.
Quelqu’un gratta comme souris à la
porte, et sans attendre de réponse, la porte s’ouvrit.
— Mon noble Moussu, dit
Franchou, ses belles joues rondes toutes gonflées de son mensonge joyeux, le
Baron réclame votre truchement !
Je bondis comme balle.
— J’y vais ! Miroul, garde
bien mon frère !
— Je vous souhaite, Moussu, bon
truchement cette nuit, dit Miroul, sérieux comme Évêque en chaire, et pinçant
deux petits accords sur sa tendre viole.
*
* *
Ce fut une autre chanson quand, le
lendemain à la pique du jour, dans la cour des Deux-Anges, je puisai de
l’eau au puits pour faire mes ablutions – habitude ou bizarrerie, comme on
voudra, que je tiens de mon père qui, dans ses vertes années de roture, avait
étudié la médecine en Montpellier et, disciple zélé
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