Fausta Vaincue
prononça :
– Bourreau, il n’est pas temps encore de remplir ton office. Juges, vous ne pouvez me tuer encore…
– Pourquoi ? demanda le juge qui avait lu la sentence.
Et Fausta répondit :
– Parce que vous ne pouvez tuer deux vies n’en ayant condamné qu’une, parce que mes flancs portent une vie nouvelle qui échappe à votre justice, parce que je ne suis plus la vierge, parce que je vais être mère !…
Les juges s’inclinèrent et sortirent. C’était en effet une loi sacrée, dominant toutes les lois dans tous les pays d’Europe, qu’une femme enceinte ne pût être exécutée… C’était un cas de grâce contre lequel se brisait la volonté des rois et des papes… Mais Sixte Quint tourna la difficulté : il obtint du tribunal qui avait condamné la rebelle qu’il ne lui fût pas fait grâce de la vie, mais qu’il fût sursis à l’exécution jusqu’à la naissance de l’enfant. Cette sentence nouvelle fut communiquée à Fausta vers la fin de septembre : elle l’accueillit en souriant…
Il y avait trois jours que l’enfant était né. Tout, dans ce petit être, dénonçait une étrange vigueur, un furieux appétit de la vie ; il fermait les poings, se raidissait, criait comme d’autres enfants à trois mois ; il fallait lui obéir aussitôt, lorsqu’il réclamait à boire ; Myrthis ravie, extasiée d’admiration, le nourrissait avec du lait que le geôlier lui remettait. Il était de ces enfants râblés dont les mères disent avec orgueil : « Ah ! il ne sera pas commode à élever, celui-là !… »
Mais Fausta ne disait rien, elle !… Seulement, dès que Myrthis avait satisfait l’appétit glouton et impérieux du nouveau-né, elle le faisait déposer près d’elle sur l’oreiller, et, des heures entières, elle le regardait dormir d’un sommeil solide et robuste.
– Voyez, maîtresse, disait Myrthis en adoration, voyez, il a déjà des cheveux d’un beau noir… Oh ! mais il ouvre les yeux !… il voit ! Oh ! il me mord le doigt !…
Fausta ne souriait pas, ne disait pas un mot. Pendant ces trois jours, elle ne dormit pas ; elle demeura à contempler son fils, d’un regard étrange ; pas une fois elle ne posa ses lèvres sur le front ou les mains du petit être, comme font toutes les mères.
Le soir du troisième jour, la même sinistre cérémonie qui s’était accomplie se reproduisit dans cette chambre. Les juges vinrent, accompagnés du bourreau, et annoncèrent à Fausta qu’elle était assez forte pour marcher au supplice le lendemain matin à l’aube. Seulement, ils ajoutèrent que l’enfant de la rebelle serait exposé, à moins que quelque âme charitable ne le revendiquât. Puis ils se retirèrent.
La nuit s’écoula sans que la condamnée cessât de fixer sur l’enfant un regard de mystère par lequel on eût dit qu’elle essayait de lui communiquer sa volonté. Six heures du matin sonnèrent à une horloge lointaine. Alors, Fausta appela Myrthis et lui ordonna de verser dans une coupe les six grains de poison. Myrthis obéit en pleurant… elle ne parlait plus de mourir elle-même, car elle comprenait qu’il fallait vivre pour l’enfant.
– Tu le prendras, dit en effet Fausta d’une voix aussi calme que lorsqu’elle parlait en souveraine, tu le prendras, tu l’élèveras, tu l’emporteras à Paris, je veux qu’il soit élevé à Paris et qu’il y vive. Puis, quand il sera homme, tu lui diras qui il est, et mon histoire et l’histoire de son père…
– Je jure de vous obéir, sanglota Myrthis.
Fausta fit signe de la tête que c’était bien, jeta un coup d’œil sur le verre de poison qui était sur une petite table à portée de sa main, et alors, pour la première fois, elle prit l’enfant dans ses bras. Plus ardemment, elle fixa son regard de flammes sur l’enfant qu’elle tenait dans ses mains, en le soulevant au bout de ses bras. L’enfant s’éveilla et ses yeux clignotant parurent regarder… et alors Fausta lui parla :
– Fils de Fausta… fils de Pardaillan… que seras-tu ?… Te dresseras-tu un jour devant ton père ?… Seras-tu le vengeur de ta mère ?… Fils de Fausta et de Pardaillan, puisses-tu avoir le cœur cuirassé d’un triple airain ! Puisse ton âme inaccessible ignorer à jamais la pitié, l’amour, les sentiments de faiblesse et d’esclavage ! Puisses-tu passer dans la vie comme un brûlant météore que pousse la fatalité ! Adieu, fils de Pardaillan !
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