Francesca, Empoisonneuse à la cour des Borgia
faite. Le trône de Saint-Pierre ne saurait être épargné puisque pour ces mêmes maisons il s’agit de la place suprême à occuper, et que pour ce faire elles sont prêtes à se battre tels des chiens de meute rendus fous par l’odeur du sang. Quiconque juché dessus devrait éviter de dormir sur ses deux oreilles. Ou de manger sans avoir fait goûter ses plats auparavant, mais ce n’est qu’un avis de professionnelle.
Cui bono ? À qui profite le crime, si le pape meurt ?
Le corps et l’esprit toujours las, j’ôtai mes vêtements et me glissai enfin dans le lit. Je serrai mes genoux contre ma poitrine et accueillis la fraîcheur de l’étoffe damassée sous ma joue. Autour de moi le palazzo dormait paisiblement et bientôt je fis de même, me sentant en sécurité dans la forteresse de l’homme qui avait comploté des décennies durant pour faire de la papauté l’ultime joyau de sa couronne terrestre.
Au petit matin, je récupérai les habits que j’avais laissés par terre, les défroissai et les rangeai soigneusement dans l’armoire. Soucieuse de la dignité afférente à mes nouvelles fonctions autant que de mon confort par cette journée qui s’annonçait étouffante, j’enfilai une simple robe de dessous en lin blanc et mis par-dessus une robe bleue à l’ourlet brodé de fleurs – une bien piètre tentative de ma part aux travaux d’aiguille, car je n’ai jamais maîtrisé cet art. J’avais opté pour ces fleurs à l’apparence faussement inoffensive qui poussent sur diverses plantes vénéneuses dans le but de rendre supportable cette activité à laquelle toute femme convenable est censée exceller au mépris de ses prédispositions.
Correctement habillée et coiffée (mes cheveux tressés en une natte enroulée autour de la tête), j’ignorai les gargouillements de mon estomac et entrepris de remplir mes responsabilités fraîchement acquises avec un empressement dont on ne me tiendrait pas rigueur, du moins l’espérais-je. En premier lieu, j’allai trouver le capitaine des condottieri pour passer en revue avec lui les mesures de sécurité mises en place par mon père. La moindre bouchée de nourriture, goutte de liquide, babiole qui pouvait se retrouver en contact avec Il Cardinale ou tout membre de sa famille devait être vérifiée et approuvée, et sa provenance tracée. Cela nécessitait l’entière coopération du capitaine de sa garde.
Je trouvai Vittoro Romano devant l’arsenal, dans l’aile du palazzo abritant également la caserne. Une dizaine de gardes avaient tiré des bancs dehors, au soleil, et étaient en train d’astiquer leur armure tout en gardant un œil sur les jeunes servantes qui trouvaient toujours une raison de passer par là, tenant en équilibre sur leurs hanches généreuses des paniers à linge ou à provisions pour les cuisines. Plusieurs chats somnolaient dans la cour, daignant seulement lever la tête pour observer les pigeons qui restaient juste hors d’atteinte. Cela faisait des jours qu’il n’avait pas plu. Le ciel était de cette teinte citronnée caractéristique de Rome en été. Malgré ses pavés, la cour était très poussiéreuse. Je vis un tourbillon de poussière s’élever au passage d’un souffle de brise et danser sur plusieurs mètres avant de se désagréger quasiment devant les bottes de Vittoro.
Celui-ci ne sembla même pas le remarquer. La cinquantaine, de taille moyenne et sombre de caractère, le capitaine de la garde donnait l’impression de n’être ni très intéressé, ni même spécialement conscient de ce qui se passait autour de lui. Mais celui qui était assez sot pour le croire pouvait s’estimer heureux s’il vivait suffisamment longtemps pour le regretter.
En me voyant, Vittoro congédia les lieutenants avec qui il était en train de parler. J’étais inquiète à l’idée de m’entretenir avec lui, ne sachant comment il réagirait à l’idée de devoir traiter avec une jeune femme qui avait tué pour obtenir un poste de pouvoir. À mon grand soulagement, il m’accueillit d’un cordial signe de tête.
— Buongiorno, Donna Francesca. Je suis heureux de voir que vous allez bien.
J’en déduisis que le capitaine, tout au moins, ne regrettait pas la décision d’Il Cardinale de me laisser la vie sauve au lieu d’ordonner de me trancher la gorge et de jeter mon corps dans le Tibre – ou toute autre manière qu’il affectionnait pour éliminer ceux qui l’avaient contrarié. Mais je
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