George Sand et ses amis
d'une pâleur bilieuse, ses yeux longs n'avaient pas de couleur ; mais son front était vaste et d'une extrême pureté.» Or, Valentine le trouve autrement attrayant que son correct et flegmatique fiancé, M. de Lansac, secrétaire d'ambassade. Il est vrai que celui-ci ne songeait pas à se pencher au-dessus d'un ruisseau pour y contempler, comme dans un miroir, l'image gracieuse de Valentine. Bénédict avait de ces attentions romanesques. D'où son charme victorieux. «Bénédict, pâle, fatigué, pensif, les cheveux eu désordre ; Bénédict, vêtu d'habits grossiers et couvert de vase, le cou nu et hâlé ; Bénédict, assis négligemment au milieu de cette belle verdure, au-dessus de ces belles eaux ; Bénédict, qui regardait Valentine à l'insu de Valentine, et qui souriait de bonheur et d'admiration, Bénédict alors était un homme ; un homme des champs et de la nature, un homme dont la mâle poitrine pouvait palpiter d'un amour violent, un homme s'oubliant lui-même dans la contemplation de ce que Dieu a créé de plus beau.
Je ne sais quelles émanations magnétiques nageaient dans l'air embrasé autour de lui ; je ne sais quelles émotions mystérieuses, indéfinies, involontaires, firent tout d'un coup battre le coeur ignorant et pur de la jeune comtesse.»
Toujours est-il que le magnétisme opère, et nous l'entrevoyons à travers des descriptions qui mériteraient d'être confrontées avec certaines pages de Madame Bovary. La mélancolie, «ce mal terrible qui avait envahi la destinée de Bénédict dans sa fleur», a une influence si communicative que Valentine cède au sortilège. La veille de son mariage, elle accorde, au fond du parc, une entrevue à Bénédict, qui se montre «le plus timide des amants et le plus heureux des hommes.» Même scène, à huis clos, la nuit des noces. Bénédict pleurait beaucoup ; c'était un préservatif. Et M. de Lansac lui laissait le champ libre, ayant accepté une migraine opportune invoquée par Valentine. De là une scène assez pathétique d'hallucination ou de somnambulisme, à laquelle Bénédict assiste avec émotion et qui lui révèle un amour partagé. Puis, à deux heures du matin, au pied du lit de Valentine, il lui écrit une lettre d'adieu, avant de s'évader par la fenêtre. Cette lettre est un beau morceau de prose. En voici la péroraison : «Je viens de m'approcher de vous, vous dormez, vous êtes calme. Oh ! si vous saviez comme vous êtes belle ! oh ! jamais, jamais une poitrine d'homme ne renfermera sans se briser tout l'amour que j'avais pour vous. Si l'âme n'est pas un vain souffle que le vent disperse, la mienne habitera toujours près de vous. Le soir, quand vous irez au bout de la prairie, pensez à moi si la brise soulève vos cheveux, et si, dans ses froides caresses, vous sentez courir tout à coup une haleine embrasée : la nuit, dans vos songes, si un baiser mystérieux vous effleure, souvenez-vous de Bénédict.»
Une situation aussi tendue ne saurait se dénouer que de façon tragique. M. de Lansac a été tué en duel. Valentine va donc pouvoir épouser Bénédict. Déjà il entonne l'épithalame : «Tu seras suzeraine dans la chaumière du ravin ; tu courras parmi les taillis avec ta chèvre blanche. Tu cultiveras tes fleurs toi-même ; tu dormiras sans crainte et sans souci sur le sein d'un paysan. Chère Valentine, que tu seras belle sous le chapeau de paille des faneuses !» Eh bien ! non, Bénédict meurt sous la fourche d'un paysan jaloux qui le soupçonnait de courtiser sa femme, alors qu'elle favorisait les rendez-vous de Valentine. Et celle-ci succombe au désespoir. Le dénouement pessimiste de Valentine succède au dénouement florianesque et mystique d'Indiana.
CHAPITRE VIII - LÉLIA
Lélia parut au mois d'août 1833. George Sand, en l'écrivant, était dans la période désespérée, désemparée, qui va de la fin de Jules Sandeau au commencement d'Alfred de Musset, et où nous verrons passer un jour, un seul jour, et fuir à la hâte-plus prestement que Galatée vers les saules-la silhouette de Prosper Mérimée. Le succès littéraire était venu avec Indiana, avec Valentine, sans satisfaire l'âme inquiète de la femme à qui Jules Sandeau avait laissé un morceau de son nom et qui était en train d'illustrer celui de George Sand. Du moins ces deux ouvrages, avantageusement vendus à un éditeur, avaient procuré à la romancière un capital de trois mille francs qui lui permit de régler
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