George Sand et ses amis
livre son âme,
Qui couvre de baisers sur le corps d'une femme
Le fantôme d'une autre, et qui sur la beauté
Veut boire l'Idéal dans la réalité !
Malheur à l'imprudent qui, lorsque Noun l'embrasse,
Peut penser autre chose, en entrant dans son lit,
Sinon que Noun est belle et que le temps qui passe
A compté sur ses doigts les heures de la nuit !
Demain viendra le jour ; demain, désabusée,
Noun, la fidèle Noun, par la douleur brisée,
Rejoindra sous les eaux l'ombre d'Ophélia ;
Elle abandonnera celui qui la méprise,
Et le coeur orgueilleux qui ne l'a pas comprise
Aimera l'autre en vain,-n'est-ce pas, Lélia ?
Valentine, qui parut trois mois après Indiana, avait été composée à Nohant et achevée pendant les journées caniculaires de l'été de 1832. Le 6 août de cette année, George Sand mandait à sa mère : «Je ne puis mieux faire que de m'enfermer dans mon cabinet et de travailler à Valentine.» Ce second roman est d'une contexture supérieure au premier. Les campagnes du Berry où il se déroule ont inspiré fort heureusement l'écrivain, à qui elles étaient familières. «Cette Vallée Noire, si inconnue, lisons-nous dans la préface, ce paysage sans grandeur, sans éclat, qu'il faut chercher pour le trouver, et chérir pour l'admirer, c'était le sanctuaire de mes premières, de mes longues, de mes continuelles rêveries. Il y avait vingt-deux ans que je vivais dans ces arbres mutilés, dans ces chemins raboteux, le long de ces buissons incultes, au bord de ces ruisseaux dont les rives ne sont praticables qu'aux enfants et aux troupeaux.» La thèse de Valentine est la même que celle d'Indiana. George Sand a voulu montrer les dangers et les douleurs des unions mal assorties. «Il paraît, ajoute-t-elle, que, croyant faire de la prose, j'avais fait du Saint-Simonisme sans le savoir.»
Elle prétend n'avoir ni vu si loin ni visé si haut. Elle demandait à la littérature le pain quotidien : «J'étais obligée d'écrire et j'écrivais.»
L'intrigue de ce nouveau roman est assez attachante. Valentine, mariée à un gentilhomme égoïste et cupide, M. de Lansac, aime un simple campagnard, Bénédict, qui, comme la plupart des héros de George Sand, n'a pas de profession. C'est le fils de la nature, en face de ce Lansac, produit d'une civilisation factice. Il sera aimé de reste, le séduisant Bénédict, par toutes celles qui l'approchent, par la riche Athénaïs, fille du gros fermier Lhéry, par Louise, soeur aînée de Valentine, qui a dû quitter le toit familial à la suite d'une faute de jeunesse. Entre les trois d'abord son coeur balance, puis s'arrête définitivement à Valentine. Sa tendresse sera payée de retour. Cette fille noble aimera ce virtuose de l'amour, à la fois poète et laboureur. «J'étais née, dit-elle, pour être fermière.» Et elle ressentira la première commotion en jouant à cache-cache et à colin-maillard, à la nuit tombante, dans les prés du père Lhéry, après un plantureux repas arrosé de champagne. Bénédict, guidé, ce semble, par l'instinct de l'amour-ou peut-être en regardant sous le bandeau-atteignait toujours Valentine, la saisissait et, feignant de ne pas la reconnaître, la gardait dans ses bras un peu plus longtemps qu'il n'était nécessaire. «Ces jeux-là, observe George Sand, sont la plus dangereuse chose du monde.»
En quoi consistait le charme de Bénédict, si irrésistible qu'il s'emparait de la chaste Valentine, qu'on nous dépeint comme la plus belle oeuvre de la création et qui s'amourache d'un paysan ? Voici les passages où le romancier trace le portrait de son héros.
Bénédict, doué d'une voix harmonieuse, chante non loin du château. Valentine s'approche de la fenêtre, l'écoute et le regarde, tandis qu'il descend le sentier : «Bénédict n'était pas beau ; mais sa taille était remarquablement élégante. Son costume rustique, qu'il portait un peu théâtralement, sa marche légère et assurée sur les bords du ravin, son grand chien blanc tacheté qui bondissait devant lui, et surtout son chant, assez flatteur et assez puissant pour suppléer chez lui à la beauté du visage, toute cette apparition dans une scène champêtre qui, par les soins de l'art, spoliateur de la nature, ressemblait assez à un décor d'opéra, c'était de quoi émouvoir un jeune cerveau.» Et ailleurs : «Bénédict n'était pas absolument dépourvu de beauté. Son teint était
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