Histoire De France 1618-1661 Volume 14
enceinte! Elle eût été régente, et Monsieur était écarté! Mais, si elle ne l'était pas, il ne lui restait qu'à épouser cet homme méprisé, et qui riait d'elle tout le jour. C'était le plan de la reine mère, laquelle comptait bien gouverner. La reine Anne serait restée dépendante et petite fille.
On dit qu'une chose violemment voulue et désirée se réalise, qu'un véhément désir parfois crée son objet. J'ignore ce qui en est. Ce qui me semble sûr, c'est que la reine, qui avait tant d'intérêt à être grosse, le devint en effet.
Elle ne le déclara point. Mais, quatre mois après, la chose étant visible pour tous, le confident médecinBouvart n'osa le nier. Elle avorta en mars 1631, par un moyen artificiel, comme on verra, et probablement à six mois.
Le roi l'avait quittée en mai 1630; il la revit à la fin d'août, étant déjà malade et en pleine fièvre. Ils se réconcilièrent le jour où il crut mourir, se brouillèrent encore, restèrent brouillés. Je ne vois pas quand il put être père.
N'importe. Qu'elle fut grosse au jour de la mort, elle était sauvée. Elle restait reine régente, ou du moins présidant le conseil de régence. Elle subordonnait la reine mère et Monsieur, qui n'était plus que son premier sujet.
Il suffisait pour cela que le roi, s'il testait en forme ordinaire, tout en reconnaissant son frère, laissât ajouter la petite réserve naturelle, qui était de style , quand le mourant était un homme marié: « Sauf le cas où notre très-chère épouse seroit enceinte.»
Mais, si le roi n'aimait pas son frère, il n'aimait guère non plus sa femme. Défiant comme il était, il aurait bien pu être assez malicieux pour effacer ce mot.
Il était bien essentiel qu'on s'assurât de l'homme qui, seul en ce moment, paraissait lui inspirer un peu de confiance, de Béringhen, non pas pour qu'il agît directement, mais seulement pour veiller les moments où la haine du roi pour son frère serait plus forte que sa malveillance pour sa femme. Ce moment, de lui-même allait se présenter. À grand bruit, de Paris, arrivait une armée, les amis de Monsieur avec tous leurs amis, les Guise, les Créqui et les Bassompierre.Déjà ils étaient sûrs du gouverneur de Lyon, de sorte qu'ils tenaient le roi dans leurs mains. Si le 2 ou le 3, le 4 octobre, dans leur impatience d'héritiers, ils venaient le troubler et le faire tester pour Monsieur, les deux gardes du lit, Béringhen et la veuve, n'avaient qu'à surveiller le testament, et le mourant, plus que jamais irrité contre Monsieur, n'eût point fait à la reine l'injure de lui biffer la réserve naturelle en tout héritage.
Comment acquit-on Béringhen? Comme on acquiert un jeune homme, faible et doux, fort galant, sans défense contre les femmes. Celle qui menait l'intrigue, la confidente d'Anne, la Fargis, s'en saisit par un coup d'audace. La cour était campée à Lyon dans un hôtel étroit. Chacun couchait où il pouvait. Béringhen, dans les rares moments où la fatigue l'obligeait de prendre un peu de repos, se jetait sur un matelas, à deux pas de son maître, dans une pièce de passage où on allait et venait. La Fargis n'hésita pas. Sans crainte des passants, sans pudeur du mourant, qui aurait pu entendre, elle alla s'établir dans le lit du valet de chambre, et on les vit entre deux draps.
Il ne manquait plus qu'une chose, c'était que le roi se hâtât de mourir. Les deux partis étaient en présence. La reine Anne tenait la Chambre, et les amis de Monsieur tenaient la ville. Quel que fût le vainqueur, Richelieu périssait. Il se trouva tout à coup seul. Il avait parlé à Bassompierre. En vain. Il parla à M. de Montmorency, à qui il avait donné espoir de le faire connétable. Mais tout ce qu'il tira de son caractère généreux, ce fut l'offre de le faire sauver deLyon; offre très-dangereuse, car c'était le pousser à s'accuser lui-même. En le sauvant ainsi, il le perdait.
Les médecins avaient saigné six fois en six jours cet homme pâle qui n'avait point de sang. Ils essayèrent encore de lui en tirer le 2 octobre. À ce moment, la nature le sauva. La vraie cause du mal, ignorée des docteurs, un abcès à l'anus, creva. Tout fut fini. Quoique très-faible, il se mit sur son séant, parla de se lever.
Le jour même arrivaient Guise, Créqui, Bassompierre, représentants du nouveau roi. Ils furent consternés, terrifiés, de trouver cet homme mort qui se levait de son tombeau. Richelieu était
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