Histoire De France 1618-1661 Volume 14
pour un mourant ressuscité, Louis XIII la vit un matin tout animée, charmante, dans une demoiselle de quinze ans, une blonde du Midi. L'avisé Provençal avait cherché, trouvé la petite fille au fond du Périgord, l'avait fait venir avec sa grand'mère, qu'il gagna en lui promettant de devenir dame d'atours de la mère du roi.
On savait parfaitement par quel concert d'éloges, organisé et concordant comme par hasard, on pouvait faire aimer quelqu'un de Louis XIII. On lui donnait de temps à autre un favori, un camarade d'amusement ou de chasse. En hommes, c'était assez facile, plus difficile en femmes. Le sentiment qu'il avait de son insuffisance le rendait plus timide. Mais ici, le grand intérêt que les reines avaient à la chose leur donna de l'adresse. On prépara le roi à voir cette jeune merveille, et, quand il fit ses relevailles (pour ainsi dire) et alla rendre grâces à Saint-Jean de Lyon, le coup désiré fut frappé.
Le roi, plein de reconnaissance, ayant bien remercié Dieu, resta encore à entendre un sermon. Là, les yeux errants du convalescent tombèrent sur la nouvelle venue, mademoiselle de Hautefort. L' Aurore comme l'appelaient ses compagnes pour son teint rose, ses cheveux rutilants, illuminée sans doute du reflet des vitraux, apparut un rayon d'en haut et la résurrection elle-même à ce Lazare. Il eut honte d'avoir un carreau sous les genoux quand elle n'en avait pas, et, sans s'inquiéter de ce qu'on en dirait, il suivit son sentiment poétique et lui fit porter son carreau. Une fille du Nord eût été abîmée d'étonnement et d'embarras, eût fait quelque gaucherie. Mais celle-ci, d'une légère rougeur, du vif éclat de ses yeux bleus, transfigurée, prit le carreau, et, sans s'en servir, le posa près d'elle avec respect. Et tout cela d'un si grand air, d'une telle noblesse virginale, que tout le monde en fut ébahi.
Voilà le roi, dès ce jour, sorti de la vie sauvage où l'avaient tenu ses favoris de chasse et autres, Luynes, Baradas, récemment Saint-Simon. Le voilà assidu désormais chez les reines, sans cacher aucunement qu'il y va pour mademoiselle de Hautefort. Il fait pour elle des vers, de la musique, lui parle de sa chasse comme à un camarade, de ses ennuis et même des affaires du royaume, parfois de son ministre. Elle, sans rechercher l'honneur de ces confidences, elle y répond modestement, avec adresse et présence d'esprit. Parfaitement dévouée aux reines, à sa chère maîtresse, Anne d'Autriche (si innocente et si persécutée), elle dit à merveille, d'une vivacité naïve et gasconne, les petits mots qu'on lui fait dire, du reste, ne parlant qu'en chrétienne, pour l'union de la famille royale, pour le soulagement du pauvre peuple et la fin de la guerre.
Richelieu se noyait. Et voilà que cette enfant, innocente et charmante, presque sans s'en douter, lui met la pierre au cou.
Le naufragé imagina de se reprendre à une vieille planche, la reine mère, à son ancien attachement. Puisque, de toutes parts, le vent était à l'amour et que l'amour lui faisait la guerre, il entreprit d'y recourir lui-même. Il avait fort vieilli, il est vrai; il avait déjà les joues creuses, le poil gris, l'air fantôme qu'on lui voit au portrait du Louvre. Mais enfin, la bonne dame avait toujours vingt ans de plus. Un homme de tant d'esprit, et qui avait cet esprit dans les yeux, ne pouvait-il, à force de tendres respects, de mensonges, réveiller au vieux cœur l'étincelle des beaux jours passés? Un Vaultier tiendrait-il contre Richelieu en présence? Celui-ci prit un parti héroïque, ce fut de s'établir sur le terrain de Vaultier même, dans le propre bateau, l'appartement et l'alcôve mouvante où la reine descendait la Loire pour aller à Paris. Elle passait les jours au lit; lui à ses pieds, agenouillé sur des coussins, comme on faisait alors.
Spectacle intéressant! Et quel dommage que Saint-Simon ne fût pas né! La passion première parut revenue tout à fait. C'était un doux concert de mots charmants en italien entre la vieille haineuse et le prêtre enfiellé. Amico del cor mio! disait-elle. Lui, il était ému, rêveur, visiblement fervent et plein de religion, mais troublé sans doute de tant de beauté.
Qui tromperait et mentirait le mieux? C'était la question. La Florentine avait l'émulation de Catherine de Médicis. Mais, parmi ses douceurs, telle venimeuseœillade put révéler au grand observateur la plaie qui lui restait et que rien ne
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