Histoire De France 1618-1661 Volume 14
Piccolomini et Jean de Werth. Pendant ce temps, le duc de Lorraine entrait en Bourgogne, et Gallas, autre général de l'Empereur, allait par la Franche-Comté. Union pour la première fois, parfaite entente, accord actif de l'Espagne et de l'Autriche.
Le gouverneur des Pays-Bas, le cardinal infant, menait l'armée du Nord en France (1 er juillet 1636).
Il assiége et prend la Capelle. Nul obstacle. Des places non approvisionnées, démantelées. Des gouverneurs tremblants, que les habitants forcent de se rendre. Un indicible effroi dans les campagnes. Toute la barbarie des guerres turques; incendie, pillage et massacre. Jean de Werth remplissant tout de son nom et de sa terreur. La grande masse espagnole s'arrêteà assiéger Corbie, qui est prise (15 août). Le torrent roule vers Paris. Les Croates vont jusqu'à Pontoise. Paris, épouvanté, déménage, fuit vers Orléans.
Richelieu, ce génie si sérieux et si attentif, à qui l'on supposait le don de prescience, souffrait ici plus qu'un revers; il semblait convaincu d'étourderie. C'était l'astronome tombé dans un puits, c'était le prophète aveugle qui se voit avalé au ventre de la baleine. Il avait cru prendre, et il était pris. Il sentait les risées du Louvre, la joie sournoise du monde de la reine. On dit que le cœur lui manqua, qu'il fut troublé de voir un peuple immense qui remplissait les rues, qui, pour la première fois, parlait. Ce fut, dit-on encore, le Capucin Joseph qui le releva, le ranima. J'en doute. À ce moment, ce personnage double s'était fait l'avocat de la mère du roi, le doucereux réconciliateur de la famille royale. Loin d'encourager son ami à rester et tenir ferme, il l'eût plutôt poussé à bas et aidé à sa ruine.
Richelieu, comme tout homme d'imagination, en telle rencontre, était très-agité. Mais, homme d'esprit avant tout, il comprit bien qu'en ce pays de France, sous les croisées moqueuses du Louvre, il fallait de l'aplomb et une belle contenance. Il sortit en voiture, à peu près seul, traversa en tous sens cette foule qui jusque-là le maudissait et qui ne sut plus qu'applaudir.
Paris, en ce moment, fut très-beau. Il y a toujours d'étranges ressources avec ce peuple. Les métiers, reçus par le roi dans la grande galerie du Louvre, montrèrent un noble enthousiasme et promirent unearmée. On la leva réellement avec l'aide du Parlement et de toute la bourgeoisie, qui donna sans compter.
Nos troupes grossissaient. Et celles de l'ennemi fondaient chaque jour. Les cavaliers d'Allemagne, enrichis de pillage, laissaient le camp et s'évanouissaient chaque nuit. Voilà pourquoi le cardinal infant traînait et hésitait pour s'enfoncer en France. Il ne profita pas des perfidies secrètes de nos généraux princes du sang, le comte de Soissons et Monsieur, qui craignaient de trop réussir contre les Espagnols et tramaient un complot pour tuer Richelieu. Il ne tenait qu'à eux, et sa vie était dans leurs mains. Monsieur, se rappelant sans doute ce qu'on disait, que, Richelieu tué, le roi pourrait bien le tuer lui-même, Monsieur, dis-je, cette fois encore, saigna du nez, tourna le dos au moment où les conjurés le regardaient et attendaient son ordre.
En six semaines, Richelieu et le roi reprirent Corbie, une méchante petite place qu'on aurait pu enlever en vingt-quatre heures, et à qui on fit les honneurs d'un siége.
La tempête du Nord dissipée, celle de l'Est eût pu nous emporter encore si le duc de Lorraine et Gallas, qui arrivaient par deux chemins, eussent combiné leur invasion. Mais Gallas, affaibli aussi par la désertion des pillards, vint s'aheurter au siége d'une petite place, Saint-Jean de Losne, dont la population, attendant les dernières horreurs des brigands impériaux, fit une défense incroyable, les femmes comme les hommes. Rantzau parvint à s'y jeter, et dès lors régala les Allemands de sorties furieuses. La Saône se mit de la partie et déborda. Les assiégeants étaientdans l'eau, et ne réchappaient qu'à la nage. Cette ville fut délivrée le jour où Corbie fut reprise (14 novembre 1636).
On peut dire que la France s'était sauvée elle-même. Ce gouvernement, fort, dur, pesant, s'était vu désarmé, et, loin de protéger, c'est lui qui, dans la crise, fut protégé par la nation.
Mais comment la nation le put-elle, appauvrie qu'elle était et déshabituée de la guerre? Il faut l'avouer franchement, parce que l'invasion n'était pas sérieuse, et que les conquérants
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