Histoire De France 1618-1661 Volume 14
commencer le procès sans preuves ni témoins, donc sur la simple révélation verbale qui lui venait de la reine. Mais il ne pouvait avouer cette source. Il parle dans ces notes comme s'il eût deviné l'existence du traité. Il dit qu'il faut l'avoir, l'acheter à tout prix d'un confident de Gaston.
Avec un homme moins peureux que Gaston on n'eût rien obtenu, et Richelieu, n'ayant nulle pièce, eût été conspué, chassé pour calomnie, poursuivi à son tour. Mais Chavigny, qu'il lui envoya, le terrifia en assurant qu'on avait le traité, une copie du moins, «trouvée par des pêcheurs dans une barque échouée en Catalogne.» À lui, Gaston, de mériter sa grâce en délivrant l'original. C'est ce qu'il ne pouvait plus faire; dans sa peur, il l'avait brûlé. Mais il offrit d'y suppléer par la confession la plus complète; confession terrible, meurtrière, où il allait dire les péchés des autres, ne risquant pour lui que la honte; un fils de France ne peut aller en Grève.
Le roi avait comblé sa terreur en écrivant que, si sa confession était incomplète, on le poursuivrait avec des troupes et qu'on l'enfermerait ; mais que, s'il disait tout, on le laisserait aller libre à Venise en lui faisant une pension.
Il parla tout au long, et chacun de ses mots tuait,—d'abord Cinq-Mars, Bouillon, Fontrailles, puis de Thou même.
La reine, sans le vouloir ni le savoir peut-être, en mettant Richelieu sur la voie de tout découvrir, avait perdu de Thou. Il fallait bien au moins une tête à la justice. Or Gaston ne pouvait périr. Bouillon, arrêté, eut sa grâce en livrant sa place, Sedan. Fontrailles était en fuite. Si le roi sauvait Cinq-Mars, un seul mourait: c'était de Thou.
Pour elle, elle n'avait rien à craindre. Elle pouvait dormir paisiblement, attendre la régence. On la croyait perdue. Madame de Lansac, que Richelieu avait faite gouvernante du Dauphin, vint triomphante le matin lui dire qu'on tenait Cinq-Mars et de Thou. Elle faisait la dormeuse entre ses rideaux. La Lansac les tira, mais la trouva fort calme. Elle connaissait bien de Thou, savait qu'il mourrait sans parler.
Quant à Gaston, ce qui aurait fait son supplice, c'eût été qu'on le mît en face de ceux qui s'étaient immolés pour lui et qu'il faisait périr. Mais les magistrats complaisants assurèrent qu'il n'y avait nul exemple qu'un fils de France fût confronté. On le fit venir à deux lieues de Lyon, et comme à la porte du tribunal, pour en tirer au besoin ce que demanderait le procès. Principal accusé, il ne figura que commetémoin, et ce témoin dispensa des pièces mêmes, puisqu'on n'avait que des copies, des chiffons de papier, et sans caractère authentique.
Cinq-Mars essaya de nier, et attesta Bouillon qu'il croyait loin. À l'instant même, on le lui présenta pour le démentir. On l'avait pris caché dans une meule de foin et amené à Lyon, où Mazarin lui conseilla en ami de faire comme Gaston, de se sauver par la lâcheté. Le roi lui laisserait sa tête et ne lui prendrait que Sedan.
De Thou montra du courage, mais il aurait plus honoré sa mort s'il eût moins chicané sa vie par des fins de non-recevoir de procureur. Il se retrancha trop habilement sur une chose fausse, qu'il avait eu une simple connaissance de la chose, n'avait pu trahir ses amis. En réalité, il avait agi, dirigé même, indiquant tous les rendez-vous, y conduisant les conjurés, les faisant entrer, sans entrer lui-même, et restant à la porte.
Amené, dit-on, devant Richelieu, il prétendit «avoir ordre du roi.» Nul écrit, à coup sûr; des paroles vagues, à la bonne heure.
De Thou fut bien jugé. Un cœur comme le sien ne pouvait manquer de le reconnaître. Lorsque Cinq-Mars et lui allèrent à la mort, leurs juges (dont était l'illustre Marca) étaient sur leur passage, et les condamnés les remercièrent de la juste sentence qui, lavés et purifiés, allait les envoyer à Dieu.
Cinq-Mars, si beau, si jeune, de Thou, si estimé jusque-là, si pur (moins une erreur), excitèrent dans la foule un intérêt extraordinaire. La maladresse d'un bourreau novice qu'on employa ajouta encore à l'émotion.Quand la tête de Cinq-Mars tomba, il s'éleva de toute la place un horrible cri de douleur. De Thou, manqué d'abord et très-cruellement égorgé, jeta la foule dans un accès de fureur frénétique. Des pierres volèrent sur l'échafaud. Ce bon peuple de France maudit cette justice qu'il appelait vengeance, et pleura
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