Histoire De France 1618-1661 Volume 14
où.
Nous venons presque de redire, mot à mot, ce que Laporte, valet de chambre dévoué, confident de la reine, raconte de l'éducation que Mazarin donnait au jeune roi, de l'abandon, de la misère où il était, du plaisir qu'il avait à jouer les valets, etc., etc.
La reine disait en 1643 que Mazarin n'était pas dangereux pour les femmes, qu'il avait d'autres mœurs . Deux ans après, elle lui confie son fils.
La lutte du pauvre valet de chambre pour garder cet enfant (dans l'abandon dénaturé où le laisse sa mère) pour en faire un honnête homme, malgré tout le monde, est une chose très-belle à lire.
Laporte essaye d'apprendre un peu d'histoire de France au roi de France; il lui lit Mézeray. Mais Mazarin se fâche. On verra ce qu'il lui apprit.
Le jeune roi était très-beau, bien né et bien doué,sans grand éclat d'esprit, mais d'un bon jugement. Il préférait Laporte, malgré toutes ses sévérités. Il leur fallut chasser cet honnête homme pour que l'enfant cédât aux vices.
On verra, Laporte chassé, comment allèrent les choses, et dans quel bourbier allait tomber l'enfant, si de bonne heure il n'eût eu des maîtresses. Les femmes le sauvèrent de l'effroyable éducation de Mazarin.
La révolution de la Fronde, songeons-y bien, fut une révolution morale. On a fort obscurci ceci. Mais il faut le tirer à clair. Plus on était dévot au culte, à l'idolâtrie royale, moins on pouvait laisser cette innocente idole, sur qui portait la destinée d'un peuple, aux mains d'un homme dont la reine elle-même ne contestait pas l'infamie.
La Fronde, au total, fut la guerre des honnêtes gens contre les malhonnêtes gens [23] .
Lenet, l'homme des princes et l'ennemi des parlementaires, qui ne déguise pas leurs sottises, déclare pourtant qu'ils furent en général «des hommes de grande vertu .»
Que la corruption d'idées entrât dans ces familles, même celle des mœurs chez les jeunes magistrats qui imitaient la cour, je ne le nie pas. Mais les habitudes étaient honnêtes et régulières, et la vie sérieuse, laborieuse. Et tranchons tout d'un mot dont on sentira la portée: la vie noble , la fainéantise, avait tout envahi; les magistrats seuls travaillaient .
Regardez sur la Seine, au quai de la Cité, en vue de la Grève, une vieille maison triste et tournée au nord. Là demeurait celui dont les Mémoires se moquent, le courageux Broussel, un bon, digne et grand citoyen.
Harlay et Molé, intrépides, n'en ont pas moins molli, on l'a vu et on va le voir, au vent corrupteur de la cour. Leurs enfants en furent cause, et leurs mauvaises affaires, et leur besoin d'argent. Ils avaient cent mille francs par an. Broussel n'eut pas de tels besoins; il avait quatre mille livres de rente, et ne voulut point davantage. Avec cela, il éleva une grosse famille et vécut honorablement.
Ce n'était plus le temps des grands jurisconsultes. On n'aurait plus vu des princes d'Empire régler des successions d'États indépendants sur la consultation d'un avocat de Paris. Un radotage immense d'ordonnancesnon exécutées entravait, embrouillait le champ légal, laissait aux juges un arbitraire sans bornes. Pauvres, ils donnaient à qui ils voulaient des millions, et voyaient la cour à leur porte. Jamais le Parlement n'eut plus besoin de probité.
Broussel ferma sa porte, ou ne l'ouvrit qu'aux pauvres. Il avait alors soixante-quatorze ans, dont trente-six en 1610, à la mort d'Henri IV. Il en garda l'impression, et pour toujours resta l'adversaire de la cour, l'ennemi des ennemis de la France. À sept heures du matin, ce doyen des grondeurs venait siéger au Parlement, auprès du rêveur Blancménil, pur utopiste et fou, non loin de l'ambitieux et très-dissimulé Longueil, du président Charton, honnête, borné et violent, d'une vulgarité proverbiale, qui finissait toujours par un mot attendu et risible: «J' dis ça.»
Broussel n'était pas ridicule. Tous ses avis étaient marqués d'un caractère de simplicité forte et courageuse, nullement exagérée, quoi qu'on ait dit. C'est le défaut contraire qui le fit échouer, lui et le Parlement. Les révolutions étrangères qui avaient lieu alors, loin d'enhardir, terrifièrent ces pauvres gens de bien. Celle d'Angleterre leur fit horreur en leur montrant le billot de Charles I er . Celles de Naples et de Sicile leur firent peur; ils crurent voir de la Grève ou de la Grenouillère sortir un Mazaniello. Bref, leur modération les mena, par une voie
Weitere Kostenlose Bücher