Histoire De France 1618-1661 Volume 14
étrange, au terrorisme; quand les princes égorgèrent Paris, ils se trouvèrent sans force, sans espoir ni ressource que de subir le Mazarin.
Broussel était-il janséniste? Je ne le vois pas. Mais il l'était de mœurs. L'austérité du jansénisme, sinon sondogme, avait fait d'honorables progrès dans le Parlement.
Cette fronde religieuse avait précédé la fronde politique, et indirectement y aida fort. Le jansénisme était l'aîné. Déjà alors il était constitué. Il avait son Pathmos au monastère des vertueuses et disputeuses dames de Port-Royal. Son saint Jean fut le grand martyr Duvergier de Hauranne, le prisonnier de Richelieu. Sa nuit de Pentecôte est celle où, le corps du martyr étant encore exposé à Saint-Jacques, la mère Angélique arme son chapelain d'un rasoir, et lui dit: «Je veux, je veux les mains de M. de Hauranne, les mains qui consacraient le pain de Dieu pour moi.» Il obéit. Le sacrilége pieux s'accomplit dans l'église. Et, du moment que la relique est déposée à Port-Royal, les langues se délient, le génie polémique, jusque-là contenu dans les énigmes de Du Hauranne, éclate, strident et provocant, par la voix des Arnauld.
Le manifeste fut le beau livre, grave et fort, incisif, contre la Fréquente communion , contre la prostitution quotidienne que les Jésuites faisaient de l'hostie, faisant litière du corps de Jésus et le prodiguant aux pourceaux. L'effet fut saisissant, le contraste violent et terrible, le Calvaire retrouvé pour l'effroi des marchands du Temple, la pâle tête du Crucifié et sa sainte maigreur foudroyant l'embonpoint ventru du père Douillet. Les Jésuites tombent à la renverse. Éperdus, sachant trop que leur galimatias ne les sauvera pas de ce livre, ils trottent à Saint-Germain, vont pleurer chez la reine, chez le bon cardinal. De fripons à fripons, on s'aide et on s'entend. Ce Mazarin, qui fait laguerre au pape pour que son frère ait le chapeau, dès qu'il ne s'agit que de Dieu, est plus Romain que Rome; il lâche et cède tout. Scandaleuse ignorance de la tradition de la France dans un homme qui la gouvernait. Il fait décider par la reine qu'un Français doit aller à Rome, et soumettre sa doctrine au pape, c'est-à-dire aux Jésuites, contre qui son livre est écrit.
La Sorbonne réclame. Le Parlement réclame, toutes les chambres du Parlement veulent s'unir, s'assembler. Alors notre homme prend peur. Vite il s'explique, excuse sa sottise par une sottise: il n'a pas voulu soumettre un Français au jugement de l'étranger, mais éclaircir à l'amiable un point de théologie (1644).
Il faut la guerre pour pêcher en eau trouble. Mazarin vivait de la guerre et d'une victoire annuelle de Condé, qui lui donnait la force, à l'intérieur, de faire la guerre aux bourses:
1 o Guerre aux propriétaires. Il trouve un vieil édit fait le lendemain de l'invasion de Charles-Quint quand on venait de craindre un siége, lequel défend d'étendre les faubourgs. Mais Paris, en cent ans, avait grossi, grandi, débordé de tous côtés. Les pauvres logeaient dans cette banlieue, sous des maisonnettes de boue qu'ils se faisaient eux-mêmes. Un matin, les gens du roi, avec des troupes, viennent toiser ce Paris nouveau qu'on va abattre si l'on ne paye sur l'heure. L'effet fut si terrible, que Mazarin d'abord eut peur et recula. Condé lui mit du cœur au ventre par sa bataille de Nordlingen. Mazarin reprend le marteau. Tous ces infortunés accourent au Parlement, pleurent, se mettent à genoux, prient qu'on ne les jette pas dans larue pour camper l'hiver sous le ciel. Un homme s'attendrit, le président Barillon, vieil ami et défenseur de la reine dans ses adversités. Il plaide pour ces pauvres propriétaires mendiants, et le soir il est enlevé avec quatre ou cinq autres, enfermé, non en France, mais à Pinerolo, sous la neige et le vent des Alpes, et il y meurt dans quelques jours (1645).
On se le tint pour dit. Le Parlement, tout à coup raisonnable, enregistre devant le roi, non-seulement la ruine de Paris, mais une fournée de dix-huit autres édits.
2 o Cet impôt et dix autres, spécialement un emprunt forcé, ayant mis à sec les propriétaires, on passe aux non-propriétaires . On frappe une entrée sur les vivres (1646). Bel impôt, disait Émeri (l'homme de Mazarin), impôt égal pour tous, qui fait payer les riches. Comme si c'était même chose pour celui qui n'a rien et qui cherche chaque jour le pain qu'il mettra sous la dent! La
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