Histoire De France 1724-1759 Volume 18
Français. D'Argenson n'ose dire qu'il lui souhaite de battre les nôtres, mais il parle des Russes. «Ah! dit-il, si le Roi pouvait accabler ces coquins!»
Quel eût été le deuil de tous les penseurs en ce monde, si l'on eût perdu Frédéric! Berlin n'était-il pas l'asile de la libre-pensée, de la plus précieuse des libertés, la liberté religieuse? Frédéric le sentait. Il se sentait gardien et des droits de l'Empire et des droits de la conscience, nécessaire à la fois à la patrie, au monde. Je ne trouve pas ridicule (quoi qu'on en ait dit) qu'en sa pensée suprême, il invoque l'ombre de Caton.
Jamais personne ne brava tant la mort. Il le fallait. Ses soldats, si dociles en bataille, étaient exigeants, regardaient s'il était avec eux au danger. Le soir d'une bataille, le voyant à leurs feux, ils disent dans leur liberté rude: «Eh! Sire! où étiez-vous? On ne vous a pas vu...» Il ne répondit rien. Mais ils virent son habit troué de balles et il en tomba une. Les voilà bien honteux. «Sire, nous mourrons avec vous.»
Sa gaieté héroïque était inaltérable. Dans cette année terrible, un peu avant Rosbach, on lui amène un de ses Français, un grenadier qui désertait. «Pourquoi nous quittes-tu?—Sire, vos affaires vont mal.—C'est vrai... Eh bien, écoute: encore une bataille! si cela ne va mieux, nous déserterons tous les deux.» ( Thiébault. )
L'étonnement de Marie-Thérèse, c'était notre lenteur. Par Choiseul, qui était à Vienne, elle demandait à chaque instant pourquoi on ne se hâtait pas de donner le coup de grâce.—Elle employa, le 3 septembre, la ressource suprême qui lui avait déjà servi, un voyage de l'Infante près de son père. L'Infante se mourait de deux passions, celle du grand mariage autrichien, et celle d'aller aux Pays-Bas, de quitter son désert de Parme pour ses grandes villes riches, peuplées, de Bruxelles et d'Anvers. Bernis, son ex-amant, qu'elle avait eu en Italie, était devenu si prudent qu'il respectait, approuvait les conseils de Richelieu et de Soubise, tous deux fort peu pressés de voir le lion au gîte. Dans son désespoir même, celui-ci était redoutable. Par sa petite armée du Nord (vingt mille contre soixante mille) il avait étrillé les Russes à Jaegernoff; tout en se proclamant vainqueurs, ils en eurent assez, s'en allèrent. Plus récemment, sur Soubise même, il eut un avantage léger, mais qui fit rire. Soubise a huit mille grenadiers, fuit devant quinze cents Prussiens, perd son camp et tous ses bagages.
La guerre était réellement menée par la Pompadour. Entre le vieux Bellisle et le vieux Duverney, elle aurait pu avoir de bons conseils, mais ne les suivait pas. N'étant que par l'Autriche, ne suivant que Marie-Thérèse, elle attendait le mot de Vienne. Ce mot était d'agir secondairement par Richelieu, mais de faire les grands coups par les vingt-cinq mille hommes que commandait Soubise, uni à l'armée de l'Empire, trente-cinq mille Allemands, qu'un Allemand menait, le prince Hildburghausen, un valet de Marie-Thérèse.Les Français étaient moins nombreux, la gloire serait toute allemande, toute à Marie-Thérèse; elle aurait été quitte de la reconnaissance, quitte de ses promesses, eût refusé les Pays-Bas.
Qu'était ce favori Soubise? Rien en lui, mais tout par sa sœur, Marsan (Soubise), gouvernante des enfants de France, qui avait eu ce poste de confiance par la grâce de Marie-Thérèse. Ces Soubise, depuis la belle rousse de Louis XIV, étaient toujours des favoris. Trois cardinaux Soubise sont les grands aumôniers; le premier (fils du roi?) c'est ce cardinal femme, célèbre par sa belle peau et son zèle moliniste; le second, joli homme épuisé, qui meurt jeune, passait, dit Argenson, pour amant de sa sœur. Son frère, le général, brave homme et médiocre, plaisait à Louis XV par l'analogie de leurs mœurs. Sa sœur (Marsan) le fit tellement adopter de l'Autriche et de la Pompadour, qu'on voulait lui donner ce que ne put avoir Turenne: on voulait le faire connétable!
Soubise, de Vienne et de Versailles, recevait des lettres pressantes qui revenaient à dire: «Allons, sois un héros.» Le destin l'accabla. Un autre, Richelieu, eût été battu tout de même. La décadence pitoyable de l'armée (comme de toute chose) arrivait au dernier degré. Nos Français sont terribles aux premières guerres de Louis XV, à Guastalla, au combat de Plélo (1731). À Fontenoy, l'infanterie mollit, percée par la
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