Histoire De France 1724-1759 Volume 18
contrevallation.» Un travail de trois mois!... Mais pendant ce temps-là les Russes entreront, les Français iront jusqu'à Berlin rencontrer les Suédois!
Et ce Daun, à dix lieues de Prague, qui reçoit d'heure en heure des torrents de barbares, si on ne l'étouffe aujourd'hui, demain ce sera une mer, un déluge d'armes et de soldats. Frédéric y court. Il le voit perché haut, retranché. N'importe. Daun a 60,000 hommes, Frédéric 30,000. N'importe. La force révolutionnaire, c'est le mépris de l'ennemi, Daun résiste, crible Frédéric. «Celui-ci a tort?» Point du tout. Daun en reste si faible, qu'il ne peut bouger de sept mois. Sept mois! Gagner cela, mais c'est plus que d'avoir vaincu.
Ces batailles étaient des massacres immenses. À la première, celle de Prague, vingt-huit mille hommes restent sur le carreau; à celle de Kollin, la seconde, vingt mille. Rien n'était préparé pour de tels événements, nuls secours d'hôpitaux. Dans un tel abandon, les blessés sont des morts.
Horrible guerre de femmes! Avec quelle passion étourdie et sauvage les trois dames l'avaient préparée! Avec quelle furie de colère, d'acharnement elles l'exécutèrent, dans leur mortelle envie de tuer le grand homme du temps!
Les malheurs se suivent et s'enchaînent. Tous à la file accablent Frédéric: malheurs publics, malheurs privés. Il perd sa mère, le soutien adoré de sa jeunesse en ses cruelles épreuves. Il perd son frère, en quelque sorte; ce frère, héritier du royaume, eût mieux aimé traiter; il fallut l'éloigner. Au revers de Kollin succéda la nouvelle que, pendant que la Suède a saisi la Poméranie, la masse russe (et sa nuée tartare) entre par l'Est et mange tout. Cependant les Français occupaient tout l'Ouest, vainqueurs à bon marché, ne rencontrant personne.
Son unique alliée, c'était la petite armée de Hanovre, misérable et peu aguerrie sous Cumberland, le fils de George, Cumberland, battu à Hastembeck, et sûr de l'être encore, recule et recule toujours, poussé par Richelieu. Il arrive à la mer. Va-t-il sauter dedans? Ou bien le désespoir lui fera-t-il livrer bataille? Richelieu, qui, je crois, a de sa propre armée la triste opinion que Cumberland a de la sienne, accorde à ses trente-huit mille hommes la convention de Kloster-Seven:ils restent armés, mais seront neutres. Les Français gardent le Hanovre, point essentiel à Richelieu, qui ne voulait rien que piller, et qui put à son aise manger tout le pays.
Ainsi, le 8 septembre, Frédéric a perdu son seul allié. Quoiqu'il défende encore la Silésie, on fait de lui si peu de compte que les cavaliers de l'Autriche s'en vont jusqu'à Berlin insolemment la rançonner.
Voilà le point où Vienne voulait voir Frédéric. Là tendait tout l'effort des douze années. Ce n'était pas en vain que la pieuse Marie-Thérèse employait aux prières quatre ou cinq heures par jour: elle était exaucée. Le mécréant sentait le bras de Dieu. Dans ses fatigues extrêmes, ses marches, ses combats acharnés, il y avait à parier qu'il périrait. Mais cela n'allait pas à la haine de Marie-Thérèse; elle eût voulu le voir prisonnier et traîné dans Vienne, se déclarant vaincu, criant contre le ciel, disant comme Julien l'Apostat: «Tu as vaincu, Galiléen!»
Œuvre pie! Et elle est travaillée par des Voltairiens. De Vienne, Kaunitz dirige tout. Son actif instrument, plein d'esprit, plein d'audace, Choiseul, jusqu'en août, suit ici le grand plan autrichien: «La paix en France, et la guerre en Europe.» Le Parlement se calme, les exilés reviennent, la justice reprend son cours. D'autant plus vivement le Roi pourra pousser la guerre, accabler Frédéric.
Depuis août, Choiseul est à Vienne. De là, bien mieux que de Paris, il stimule nos généraux, Richelieu et Soubise. Il a le zèle ardent d'un homme qui monte au ministère, qui brûle d'être ici le lieutenantde Marie-Thérèse. Dans ses lettres ( Richelieu ), il ne cache pas le motif qui le presse. Il est pauvre; il vit par sa femme (délicate et fragile); s'il la perd, «il sera dans la plus affreuse indigence.» Le pauvre est capable de tout.
À ses débuts, il s'était posé en méchant par les perfidies galantes, les femmes compromises, les mots mordants. Il était craint des sots. Il se disait alors le chevalier de Maurepas , autrement dit un Maurepas plus jeune, qui reproduirait l'autre, son esprit, ses malices. Il passa son modèle. Par lui surtout l'Autriche sut
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