Histoire De France 1724-1759 Volume 18
fussent inviolables aux Espagnols. Il fallait écraser l'Espagne qui criait: Au voleur!—D'autre part, une masse plus désintéressée, mais sotte et violente, au nomde la famille , s'émouvait pour Marie-Thérèse contre l'intérêt protestant, contre le roi de Prusse. Son oncle George II était à corps perdu dans ce courant.—Un troisième mobile, commun à tout parti, c'était la haine de la France, l'idée que cette France qui flottait sans pilote allait recommencer Louis XIV, la monarchie universelle. On n'avait jamais su ici-bas ce que peut la haine tant que cette Angleterre ne donna son héros, l'enragé M. Pitt, ce furieux malade, de colère calculée. Tous les plans de ruine et de démembrement, rêves de Marlborough et d'Eugène, étaient au cœur de Pitt. Deux vieilles gens de soixante-dix ans, Stairs, Sarah Marlborough, ressuscitèrent pour hurler avec lui. Stairs, l'Écossais camus, un dogue à figure d'assassin (qui tua son frère à douze ans), avait eu à quarante la jouissance unique de marcher sur le pied, au grand roi qui ne pouvait plus remuer. Et la furie Sarah, l'impudique exploiteuse de la pauvre reine Anne, ce vampire enrichi de carnage, du sang de la France, en avait soif encore. Elle fut d'autant plus une plaideuse pour Marie-Thérèse, prête à lui donner tout. Pour son impératrice, elle courait les rues, lui ramassait l'argent, pleurait, priait pour elle. La famille est en cause et la propriété . Vingt peuples délivrés de l'Autriche, rentrés dans le droit naturel de la liberté élective, sont proclamés par l'Angleterre la propriété de la femme, de son fruit né, à naître, de ce ventre plein de tyrans.
Dans cet accès bizarre, la terre de la Loi, l'Angleterre, se déclara contre la Loi, contre l'élection régulière que l'Allemagne unanime fit de son Empereurà Francfort. Elle biffa le choix des Allemands, nia la liberté germanique. Couronné à Francfort, et couronné à Prague, l'Empereur bavarois avait pour lui le Droit incontestablement. Force énorme, si son défenseur, si la France n'eût été trahie.
Fleury mort, l'Espagne voulait nous donner un ministre. D'autres timidement auraient insinué Chauvelin. Mais qu'en a-t-on besoin? «N'avons-nous pas le Roi?» C'est le texte qu'en chœur chantèrent les deux partis, Noailles d'un côté, de l'autre Richelieu. Merveille! le Roi parle. On le pousse, on le presse, et on obtient cela. Il parle. Il parle haut et sec. À propos de Tencin, il dit d'un ton bref: «Plus de prêtre.» Il est donc bien changé? Point du tout. Pure imitation. Il copie assez bien la sèche impertinence de Richelieu, de la Tournelle.
Il n'en reste pas moins ce qu'il fut, un jouet, l'automate de Vaucanson.
Lorsque la vieille madame la duchesse osa (février et avril) lui présenter les lettres, les mémoires francs, hardis, que lui adressait Chauvelin, on lui fit croire sans peine que cela blessait son honneur. Maurepas et Noailles, les plus intéressés à exclure Chauvelin, y réussirent sans doute par d'adroites insinuations. Le Roi, si peu sensible, indifférent même à l'outrage (on l'a vu en 1730), crut avoir de lui-même une royale colère, et fit ce qu'on voulait. Il aggrava l'exil de Chauvelin (avril), fit entrer Noailles au Conseil.
La Tournelle avait une étoile , et y croyait, bien sûre de faire du Roi le plus grand roi du monde (V. sa lettre dans Goncourt). Admirons les premiers effetsde cette étoile: Chauvelin en disgrâce, et Noailles au Conseil.
Noailles, qui, sous la Régence, avait eu des vues saines, d'heureuses lueurs, n'avait dans sa vieillesse gardé que ses défauts, une imagination mobile, une versatilité bizarre, qui le faisait sans cesse voltiger d'une idée à l'autre. Brillante, étourdissante, sa parole était la tempête. Pour ajouter l'éloquence du geste, il jetait son chapeau en l'air ( Arg. ). Bref, homme de talent et d'esprit, de vaste connaissance, sans cœur, ni fond, ni caractère, faux dévot (et flatteur de la trahison de famille), il offrait la grotesque image d'Arlequin à soixante-cinq ans.
Richelieu, la Tournelle, se montrèrent là très-lâches. Dans la terrible crise où nous entrons (avril 1743), lorsque l'invasion de toutes parts nous menace et gronde, ils laissent la famille et le parti dévot remettre à ce vieil étourdi la défense de nos frontières.
George, Marie-Thérèse, ne doutent plus de rien. Ils sont sûrs de finir en une campagne. C'est moins que la guerre, c'est la chasse,
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