Histoire De France 1724-1759 Volume 18
lui ôter la Silésie, mais de démembrer son royaume. L'arrangement ne fut pas difficile entre deux parties dont chacune se voyait absolument seule. C'était un mariage de nécessité, de raison.
Union discordante, au fond, et sans solidité. Le roi de France, qui venait de mettre tout son cœur et sa sincérité dans le sot traité de famille pour l'Espagne contre le Piémont, allait maintenant s'allier à la Prusse, ce Piémont du Nord. Ce roi, tout catholique, qui tenait son Conseil chez un cardinal, chez Tencin, allait contre sa conscience jouer le rôle faux de relever le parti protestant, en s'unissant à la Prusse, à la Suède, à la Hesse et au Palatin. On pouvait croire qu'il y avait là-dessous quelque chose. Au fond que voulait-on? Une seule chose, conquérir la paix, s'aider de la pointe hardie que Frédéric voulait faire en Autriche, ne point irriter George en touchant son Hanovre, ne point fâcher Marie-Thérèse, la toucher seulement au point le moins sensible, à ses extrémités éloignées, excentriques (aux Pays-Bas), bref l'alarmer assez pour en tirer la paix et le Milanais pour l'Infante.
En tout Noailles était mis en avant et semblait diriger. Derrière était Tencin. Le Roi ne se fiait qu'aucardinal, ne parlait que de lui, disant à toute chose: «Mais Tencin le sait-il? Tencin, qu'en pense-t-il?» etc. Tout Paris le savait ( Nouvelles à la main, Rev. r. V ).
Jamais on ne vit mieux combien cette tête de roi était creuse.
Du Tencin d'autrefois, l'intrigant, le rusé, la ruse même avait disparu. Il restait un grotesque, vieux galantin fardé, la ganache amoureuse. Sa cervelle affaiblie, à travers le grand plan de l'alliance de Prusse (plan protestant), en jeta un autre contraire, tout catholique, d'une descente en Angleterre, d'une restauration des Stuarts. Le Roi y mordit fort. Il était trop visible que cette tentative si incertaine allait avoir l'effet certain de nous faire perdre les amis protestants que nous tâchions de nous faire dans l'Empire. N'importe. On passa outre. Noailles insista pour qu'on fît chef de l'expédition l'aventurier Maurice, l'homme à la mode, protestant, mais qui par là même offrait à Tencin l'appât d'une éclatante conversion. Maurice marchandait peu, eût daigné imiter Turenne. Il promit de se faire instruire ( Taillandier ). Folle de soi, l'affaire fut faite encore plus follement, comme croisade et restauration des Stuarts, ce qui devait doubler et décupler les résistances. On ne songeait pas même à s'aider de l'Écosse. Directement Maurice devait aller dans «la rivière de Londres.» Le secret était impossible. Rassembler une armée, enlever de Nantes à Dunkerque toutes les embarcations, c'était suffisamment avertir les Anglais. Ils eurent deux mois pour eux. Une grosse flotte anglaise fut mise «dans la rivière de Londres.» Les nôtres, pour passer, prennent judicieusementle moment des tempêtes, l'équinoxe de mars, et le passage est impossible.
Le ridicule qu'ils auraient eu dans la Tamise, ils l'eurent au continent. Quoi de plus sot que de ménager George en ne l'attaquant pas où il est vulnérable, en son Hanovre, mais de menacer l'Angleterre, d'alarmer ce grand peuple, d'exaspérer sa haine? Nos alliés d'Empire, les protestants du Rhin furent furieux de cette sottise catholique. Le Hessois, loin d'être avec nous, voulait, de sa personne, aller défendre l'Angleterre.
Il y avait de quoi dégoûter Frédéric. Il pouvait deviner qu'on n'agirait qu'aux Pays-Bas. Le simulacre de descente avait eu cet effet de faire rappeler en Angleterre ce qu'il y avait d'Anglais en Flandre, et l'on pouvait dans ce pays dégarni à bien bon marché réaliser le plan des courtisans, arranger pour le Roi une belle campagne, lui dire qu'il avait égalé Louis XIV son aïeul et surpassé le roi de Prusse. Qui eût triomphé? La Tournelle, sa chance, son bonheur, son étoile .
Frédéric s'obstinait à nous croire de bonne foi. On croit ce qu'on désire. Les belles lettres qu'il écrivait alors sont un peu juvéniles. Il y a du calcul, et le calcul de la sagesse, mais aussi très-visiblement une chaude espérance, une passion. Avec son air prudent et doucement moqueur qu'il eut toujours, il était ivre de la France. C'était entre lui et Voltaire la fraîcheur du premier amour. Il ne marchande pas les protestations à Louis XV, se posant comme inférieur même, comme allié fidèle et dévoué. Il écrit à Noailles: «S'il ne tenait qu'à moi,
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