Histoire De France 1724-1759 Volume 18
mal pourvue, entrait en campagne. Chaque année elle était sauvée, nourrie, grâce aux Pâris, par un coup révolutionnaire,miracle d'argent, d'énergie. L'homme d'exécution était ce Pâris Duverney, toujours sur la frontière, et souvent entre les armées, déguisé pour mieux voir. Il payait comptant, sec et fort, donc était adoré des marchands, et suivi. Il trouvait tout ce qu'il voulait. Une fois, pour l'armée de Villars, il fit sortir de terre 40,000 chevaux à la fois. Le dernier coup du Rhin, qui fit la paix du monde, appartient à Villars, mais aussi au grand fournisseur qui le transporta, le nourrit.
De cette vie d'aventures, de miracles et de coups de foudre, Duverney garda une tête fort chaude, et n'en guérit jamais. Sa joie aurait été de pousser toujours des armées. Et presque octogénaire il s'y remit encore dans la guerre de Sept Ans. En attendant, il menait les affaires militairement, fit la guerre contre Law, contre ses théories, ses rêves. Mais à peine vainqueur de l'utopie, il devient utopiste, disons même révolutionnaire.
Ce qui est curieux et vraiment de la France, c'est que ce grand souffle orageux qui fut en Duverney, de projets, de réformes, de brusques changements, change aussi madame de Prie. Elle est gagnée, grisée. Elle le soutient et le suit avec cette fureur qu'elle a jusque-là mise aux intérêts de Bourse. Elle se précipite aux périlleux essais de politique hardie où va sombrer demain cette fortune à peine élevée.
J'ai dit ses origines et sa terrible avidité. Elle procédait de la famine. Le contraste d'une grande misère et d'un orgueil royal, d'une haute éducation (sur laquelle spéculait sa mère) l'avaient aigrie, envenimée. Au retour de Turin, où elle avait langui avecM. de Prie, un famélique ambassadeur, elle fut produite ici par une habile agioteuse, madame de Verrue [3] , qui y trouva son compte. Elle avait l'attrait diabolique que Satan donne à ses élus. Elle était enjouée, et tout à coup tragique; d'allure timide et serpentine, puis brusquement hardie. Volontiers les cheveux au vent, et quelque chose d'égaré. Madame de Verrue (comme elle, à moitié italienne), connaisseuse en beauté, y vit une sibylle de Salvator.
D'un coup de sa baguette, cette fée de la Bourse la mit juste au centre de l'or, pour en prendre tantqu'elle voudrait. Elle n'en fut pas plus heureuse. On le sent bien au portrait de Vanloo, où elle nous regarde de face, d'un si terrible sérieux. Elle a alors sa plénitude. Ce n'est plus la fine Italienne, mais la forte beauté romaine. Est-ce Agrippine ou Messaline? L'une et l'autre, peut-être, avec un vide immense que l'or n'a pas rempli. Qui comblera l'abîme? les vices mâles, fureur et vengeance? les grands bouleversements? ou Vénus furieuse, l'extermination du plaisir?
Elle passa, sinistre météore, ne fondant rien, ne laissant guère, jetant par la fenêtre au besoin du combat tout cet or amassé ( d'Arg. ), n'ayant pas moins manqué, raté sa royauté. Pour elle la fortune est moqueuse. Elle la fait attendre longtemps, puis gorgée tout à coup, mise au pouvoir. «Allez! marchez!» dit-elle. Et tout est impossible. Tout est obstacle et précipice. Plus l'obstacle se dresse, plus Duverney et la de Prie se lancent contre, comme ces chevaux furieux qui se jettent sur les épées. Du premier coup, réforme universelle. Ils déclarent hardiment la guerre à tout le monde.
L'idée fixe de Duverney avait été la Comptabilité, la lumière dans les chiffres. L'ordre et l'exactitude qui avaient fait la fortune des Pâris, il s'obstinait à l'introduire dans la fortune de l'État. «Colbert le voulut, dit Barème, ne put, ne trouvant pas alors de gens capables.» Duverney le tenta (1721). En 1724, il osa davantage. Au grand effroi de la Maltôte, il livra son grimoire au jour, commença l'œuvre colossale de réunir et publier les ordonnances de finances (Fermes, Gabelles, Monnaies, Domaines, Charges, Rentes, Colonies)en 20 vol. in-folio. L'antre de Cacus en frémit, et les écuries d'Augias se troublent horriblement. Les hauts banquiers, protecteurs des Pâris, le grand vieux Samuel Bernard, leur père et créateur, durent s'indigner. «Et toi aussi, mon fils!»
D'autre part, que pensa la cour, lorsque ce Duverney fit un état des Grâces et pensions —et ce dans l'ordre alphabétique, de sorte qu'à chaque nom on trouva et on sut. Lumière désagréable. Jusque-là un chaos protecteur couvrait tout cela, si bien
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