Histoire De France 1758-1789, Volume 19
que garda un de nos ministres et que la Convention a fait réimprimer.
La Valois ou ses rédacteurs avaient dans le Mémoire , d'extrême vraisemblance, mis un trait fort invraisemblable, romanesque et calomnieux (les rendez-vous nocturnes que la Reine aurait donnés à Rohan). Les libellistes à gage ne suivirent que trop cette voie. Encouragés sans doute, payés des ennemis de la Reine, ils firent de Marie-Antoinette, en quelques pages, une horrible légende, absurde, insensée, dégoûtante, où elle est à la fois Messaline et la Brinvilliers, empoisonnant Vergennes et tout ce qui lui fait obstacle, donnant à tout venant l'arsenic et la mort-aux-rats.
Il suffit de jeter un regard sur ces pages pour voir qu'elles n'ont nul rapport avec les vraies publications de la Valois. Pour mieux vendre, on y mit son nom.Elle eut beau protester, jurer que ce n'était pas d'elle. La masse passionnée avalait toute chose dans sa voracité crédule. Par contre, Burke et nos ennemis entreprenaient dès lors la canonisation de Marie-Antoinette. Les deux légendes étaient en face et les deux fanatismes. La Valois risquait de nouveau d'être prise entre, écrasée, aplatie.
Plusieurs fois, dès 1786, on avait essayé de tuer le mari. Combien plus elle avait à craindre! Elle avait trente-deux ans. Elle eût voulu finir. Elle pensa plusieurs fois au suicide.
Son mari, qui aussi a écrit des mémoires, dit que les Orléans voulaient l'enlever, la traîner à Paris, la jeter à la barre de l'Assemblée, au risque de la faire poignarder par les royalistes.
Si l'on eut cette idée, les royalistes avaient intérêt à la prévenir, donc, à l'assassiner avant l'enlèvement.
Elle était entre deux dangers.
Elle était seule (le mari à Paris) dans ce noir infini de Londres, alors à peu près sans police. Pas de secours à espérer. Et elle n'aurait pas été quitte pour la mort. Elle avait un sort effroyable à attendre. Si Damiens, pour une égratignure au Roi, fut tenaillé, que n'eût-on fait à celle-ci? Quelle fête c'eût été pour nos enragés (si atroces, de Vendée, de la Terreur blanche), quel joyeux carnaval, de l'enlever dans quelque maison sûre, de s'amuser du monstre , de la faire lentement mourir à coups d'épingles, qui sait, chauffée , disséquée vive!... Telles étaient du moins ses terreurs.
Un soir, trois ou quatre coquins entrent chez elle et lui apprennent qu'elle doit venir avec eux, que l'und'eux a juré sur l'Évangile qu'elle lui doit cent guinées, et que, selon la loi de ce pays de liberté, il va l'emmener chez le juge. Elle leur verse à boire, parvient à se sauver dans la maison voisine, s'enferme dans une chambre du troisième étage. Les entendant monter, et décidée à tout pour ne pas tomber dans leurs mains, elle se pend par les mains au balcon. La porte de bois blanc éclate. Ils entrent... Elle lâche tout, elle tombe... Assommée et brisée... bras et cuisse cassés, un œil hors de la tête, et l'épine rompue... Elle mit trois semaines à mourir ( Mém. de Lamotte , 199; édit. Lacour, 1858). [Retour à la Table des Matières]
CHAPITRE XIX.
RÉVOLUTION DANS LA FAMILLE. — MIRABEAU.
1776-1786.
Le Roi, fort contristé de l'affaire du collier, mécontent de Paris, peu content de la Reine, fit une chose nouvelle et unique en son règne, rompit ses habitudes pour la première fois, voyagea. Plus il l'aimait, plus il était blessé. Il ne lui parla pas des nouveaux projets de Calonne; elle ne les connut qu'avec la cour et tout le monde. Il alla voir Cherbourg, ses bons peuples des côtes.
Un triomphe lui fut arrangé. Il trôna un moment (sur ces énormes cônes que l'on coulait pour y asseoir la digue), comme un Roi de la mer, entre la foule en barques et la flotte tonnante. Très-imprudent triomphe qui aida fort à Londres nos ennemis dans leurs déclamations, irrita, effraya. Dans les fougueux discours de Burke, l'Angleterre croyait voir la France avancer(comme un crabe) deux pinces vers Plymouth et Portsmouth.
Gigantesque menace qui couvrait l'impuissance. Élevé par l'effort des emprunts usuraires, le prodige éphémère que la mer emporta, n'exprimait que trop bien notre grandeur croulante, la ruine que Calonne avoue au Roi à son retour.
Ce triomphal voyage, un calcul du ministre, n'avait été qu'illusion. Le Roi, le peuple, s'étaient trompés l'un l'autre. Leur attendrissement mutuel leur cacha la situation.
C'était un temps ému et de larmes faciles. La langue en
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