Histoire De France 1758-1789, Volume 19
chose la plus courageuse. Elle entreprit d'aller au terrible hôpital, d'entrer dans cet enfer, d'adoucir la Valois, de lui fermer la bouche. Admirable imprudence! Mais comment croyait-elle être reçue, à ce premier accès de fureur et de haine, quand l'épaule lui brûlait encore? Le pis, c'est que la Reine lui donna une bourse, crut que l'argent ne nuirait pas.
Cela tout au contraire ferma la porte de la Salpêtrière. Madame Robin, la supérieure, fut indignée, foudroya la pauvre Lamballe de ce mot: «Elleest condamnée, madame, mais non pas à vous voir!» ( Guénard , etc.).
La cour avait montré une étonnante inconséquence: la frapper, et puis la laisser en vue dans un lieu tout public où elle exciterait l'intérêt. La prisonnière devint la curiosité de Paris, l'objet d'un vrai pèlerinage. Tout le monde y allait. On ne lui parlait pas; mais on la voyait dans les cours, mêlée à ce triste troupeau; elle semblait vouloir échapper aux regards, on la reconnaissait à sa désolation, à ses profonds gémissements.
Elle avait touché tout le monde, les plus dures même, religieuses et prisonnières. Les religieuses, si sèches, faites à commander, à punir, devinrent tendres pour celle-ci, et les aumôniers encore plus. Sa chambre fut ornée de portraits de saints, de martyrs, d'images qui pouvaient la consoler et l'amener au repentir, l'adoucir et la désarmer. On lui disait: «Écrivez à la Reine, et elle vous pardonnera.»
Elle était prise encore par un autre côté. Ses compagnes si violentes, pour elle devenaient des agneaux. La Valois est trop fière pour dire comment elle y vivait. Ce qui est sûr, c'est qu'une certaine Angélique la protégeait, l'aimait et la servait. Cela fondit son cœur, énerva ses rancunes. Elle faiblit, écrivit à la Reine, et sans doute demanda sa grâce.
Elle eut tout le contraire. On ne répondit pas. Mais on lui ôta Angélique, en la graciant. La graciée fut désespérée, plus tard sacrifia son pays, sa famille, alla rejoindre la Valois.
Celle-ci s'était donc humiliée en vain. Elle retombeà l'état sauvage. Une nuit, favorisée peut-être de quelque religieuse, elle trouva moyen de s'échapper (11 sept. 1787).
Comment? on ne le sait. Ce qu'on voit (dans Beugnot), c'est que la malheureuse, fuyant comme un lièvre, un renard, courant de nuit sans doute, alla à Bar-sur-Aube. Son aveugle instinct, l'idée fixe qui avait dominé sa vie, la ramenait à son lieu de naissance. Sans but et sans espoir. Dans cette petite ville de province, qui aurait reçu la flétrie? Elle alla se blottir au fond d'une carrière. Là, la mère de Beugnot, se souvenant qu'elle avait dans les mains certaine somme, jadis laissée pour les pauvres par la Valois, eut le charitable courage d'aller la nuit lui porter cet argent dans sa caverne. Sans cela, elle y serait morte de faim, n'eût pu passer en Angleterre.
Mais là même de quoi vivrait-elle? Son indigence prouvait bien qu'elle n'avait ni eu ni vendu le collier, ni placé un million. Elle ne pouvait vivre que d'injures à la Reine. Je ne crois pas du tout que la cour ait été si sotte que de favoriser, comme on a dit, sa fuite, qu'elle ait déchaîné elle-même cet être dangereux qui brûlait de parler, et que les libellistes et les libraires de Londres ne pouvaient manquer d'exploiter.
Il y avait à Londres, en tout temps, une manufacture de pamphlets, de libelles, fort lucrative et doublement payée, et par le public curieux, et par la cour qui les craignait, travaillait à les supprimer. Très-sottement sous la Du Barry, puis à l'avénement de Marie-Antoinette, on traitait avec ces faquins, et, chose encore plus sage, pour les marchés mystérieux, onemployait les hommes les plus retentissants de France, un Éon ou un Beaumarchais. En 1774, celui-ci court l'Europe, de Londres à Vienne, poursuivant un libelle (l' Aurore ), avec mille aventures; il en fait un roman. Avec la même adresse, en 1787, la cour traite avec la Valois, pour l'empêcher de publier son Mémoire justificatif (corrigé, dit-on, par Calonne). La bombe cependant éclata en 1788.
Ce Mémoire, étendu, devint un véritable livre, Vie de l'auteur, en deux volumes in-8. Nouvelle peur du Roi, de la Reine. Par une singulière imprudence, pour faire disparaître le livre, on envoie la personne la plus en vue, que suivaient les regards, madame de Polignac. L'édition entière est achetée. Elle périt dans un four de Londres... moins un seul exemplaire
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