Il suffit d'un Amour Tome 2
mains la saisirent prestement et elle se retrouva bientôt au bas des marches dans ce qui semblait être une crypte à peine éclairée par une chandelle de suif. Avant qu'elle ait pu protester, une voix goguenarde déclarait :
— Et alors, frangine ? Qu'est-ce que tu crois ? Qu'on peut entrer comme ça dans Orléans quand il fait encore jour ? Faut attendre la nuit, ma belle !
Regardant autour d'elle, Catherine vit qu'une vingtaine d'hommes et de femmes à peu près aussi mal en point qu'elle-même étaient assis à terre, au pied des deux colonnes supportant la voûte d'arêtes, dans une attitude accablée. La voûte de cette crypte était très haute et se perdait dans l'ombre.
La chandelle fumeuse éclairait seulement, sur un chapiteau de pierre, la silhouette charmante d'un jeune garçon appuyé sur un grand cerf...
— Qui sont ces gens ? demanda Catherine. Où sommes-nous ?
Le garçon qui l'avait descendue de force eut une grimace qui pouvait passer pour un sourire. Il était sale et une abondante barbe noire mangeait son visage, mais son regard était jeune, son corps vigoureux quoique maigre.
Il haussa les épaules.
— Ceux de Montaran ! Les Godons ont brûlé notre village hier... On attend pour entrer, nous aussi. Quant à cet endroit, c'est la crypte de l'église Saint- Aignan que les gens d'Orléans ont rasée avec tout le reste du faubourg
; tu n'as qu'une chose à faire : t'asseoir avec nous et attendre.
Il ne lui demandait rien de plus, retournait à son poste d'observation en haut de l'escalier plus qu'à demi écroulé. En regardant mieux ses voisins, elle vit des faces douloureuses, des traces de larmes récentes et quelques maigres ballots de hardes. Tous tenaient les yeux baissés comme s'ils avaient honte de leur misère. Elle n'osa pas leur parler, s'assit un peu à l'écart et attendit. Il faisait froid dans cette cave et un frisson courut le long de son échine. Elle avait sommeil mais résista à l'envie de dormir, craignant que les autres ne l'oubliassent, tout à l'heure, quand ils s'avanceraient vers la ville. L'attente, d'ailleurs, ne fut pas longue. Une heure peut-être... Au bout de ce laps de temps, le garçon reparut sur les dernières marches, eut un grand geste d'appel.
— Amenez-vous, c'est le moment !
Les réfugiés se levèrent sans un mot, passifs comme un troupeau habitué à suivre le plus fort. L'un derrière l'autre, ils sortirent de la crypte suivant leur guide, se coulèrent à nouveau dans les décombres, courbés en deux pour ne pas être vus. La nuit n'était pas très sombre et des étoiles brillaient, d'un éclat froid, haut dans le ciel. Catherine aperçut la porte entre ses deux tours... La distance fut vite parcourue. Bientôt, on fut sur un petit pont-levis qui commandait la poterne accolée à la grande porte. Le grand pont était relevé... En franchissant le rempart au moyen de l'étroit couloir, Catherine crut défaillir de joie. Enfin, elle y était ! L'invraisemblable odyssée était terminée. Elle entrait dans Orléans...
La porte de Bourgogne ouvrait sur une rue étroite que bordaient, d'un côté, les bâtiments d'un couvent et de l'autre une file de maisons aux volets clos. Quelques soldats en armes se tenaient là, poudreux et noirs encore du récent combat. Les torches que portaient certains d'entre eux éclairaient la sortie de la poterne près de laquelle un pot à feu brûlait en fumant dans une cage de fer. Le vent, assez fort, couchait les flammes.
— Encore des réfugiés ! fit une voix hargneuse qui fit battre un peu plus fort le cœur de Catherine. Qu'allons-nous en faire alors qu'il nous faudra bientôt songer à rejeter les bouches inutiles ?
— Les gens de Montaran ! dit quelqu'un. Leur village a brûlé hier...
Le premier homme qui avait parlé ne répondit pas mais Catherine, aimantée par quelque chose de plus fort que sa volonté s'avança vers le lieu d'où la voix était venue. Elle ne s'était pas trompée. À quelques pas d'elle, il y avait Arnaud de Montsalvy.
Adossé contre le mur du couvent, tête nue, ses courts cheveux noirs en désordre, il regardait avec humeur la file lamentable qui venait de pénétrer dans la ville. Son visage portait des traces de poudre et une balafre que Catherine ne connaissait pas lui coupait une joue. Son armure était cabossée, il paraissait un peu las mais, avec une joie fiévreuse, elle constata qu'il n'avait pas changé. Les traits étaient les mêmes, un peu plus
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