Il suffit d'un Amour Tome 2
brûlure de ses pieds s'estompait. La voyageuse se frotta de son mieux, regrettant les doux savons que Sara savait si bien préparer, puis lava ses cheveux qu'elle tordit ensuite sur sa tête. En sortant de l'eau, celle-ci lui renvoya le reflet de son corps et elle y puisa un peu de réconfort. Grâce au ciel, malgré l'écrasante fatigue, il n'avait rien perdu de sa splendeur ni de sa grâce nerveuse. Un peu remontée, elle se sécha comme elle put, remit ses hardes et reprit sa route. Le chemin s'infiltrait entre la Loire et une épaisse forêt, mais, à mesure qu'elle avançait, il devenait plus désert. De larges étendues de forêts avaient brûlé. De loin en loin, on pouvait voir les vestiges d'un village, un tronc d'arbre noirci, voire des cadavres abandonnés. La guerre était présente partout et montrait de plus en plus sa face grimaçante.
Mais, possédée par son désir d'arriver coûte que coûte, Catherine n'y prenait pas garde. Elle usait ses yeux à tenter de découvrir, au loin, les murs de ce qui était devenu pour elle la Terre Promise. Au coucher du soleil, elle avait parcouru six grandes lieues... et la forme confuse d'une grosse ville se montrait au loin, grise et indistincte. Elle devina qu'enfin c'était là Orléans et son émotion fut si forte qu'elle se laissa tomber à genoux dans l'herbe courte, éclata en sanglots puis balbutia une courte prière. La nuit lui déroba bientôt la cité. Alors elle s'étendit là où elle était, comme une bête épuisée, sans même chercher un abri couvert. Qui donc, dans ce désert, prendrait souci d'une mendiante endormie ? Elle n'avait plus rien que l'on pût voler, elle était plus pauvre que les plus pauvres, en guenilles, affamée, presque nue et les pieds en sang... Elle dormit d'un sommeil de brute, se releva au premier rayon du soleil aussi simplement que si elle venait juste de tomber et reprit sa marche en avant. Un pas... un autre pas et encore un autre. Là-bas, la ville semblait grandir, lui faire signe... Ses yeux fiévreux ne voyaient plus qu'elle, ignorant les fumées d'incendie que l'on voyait à certains points de l'horizon.
Si elle n'eût été si lasse, elle eût tendu les mains pour tenter de saisir le mirage qui devenait vivant. Peu à peu, elle distingua les îles plates sous leurs chevelures d'herbes, le grand pont, coupé en deux endroits, avec les forteresses qui le gardaient de part et d'autres. Elle vit la flèche aérienne des églises, les grandes dégoulinures noires laissées par l'huile et la poix bouillantes sur les murs, les bombardes qui les couronnaient. Elle vit le grand désert des faubourgs rasés par les Orléanais eux-mêmes, les tragiques pans de murs qui avaient été de belles demeures et même de grandes églises, déserts de l'héroïsme ponctués, comme d'autant de bêtes à l'affût, par les bastilles de bois et de terre élevées par l'assaillant. Elle vit enfin le rouge étendard anglais et ses léopards d'or planté sur ces bastilles et narguant les douces fleurs de lis qui couronnaient d'azur et d'or la plus haute tour du château...
Immobile, les yeux brouillés de larmes, Catherine oublia ses douleurs, la faim qui tordait ses entrailles pour ne plus songer qu'à une seule chose : là, derrière ces murailles, Arnaud vivait, respirait, se battait et souffrait sans doute puisque la ville, à ce que l'on disait, n'avait plus de pain...
Elle approcha, dès lors, lentement, avançant prudemment parmi les décombres qu'elle utilisait pour se cacher. Une énorme bastille anglaise, qu'elle apprit plus tard être celle de Saint-Loup, s'élevait entre elle et la ville.
Il fallait passer sans être vue, atteindre la porte de Bourgogne, la seule qui fût encore accessible parce que les Anglais de Suffolk et de Talbot n'avaient pas assez d'hommes pour encercler la ville martyre. Les sons lointains d'une trompette parvinrent à Catherine, bientôt suivis d'un abondant tir d'artillerie.
Les bombardes crachaient, des deux côtés du pont, quelques boulets de pierre avant que la nuit ne fût close. Des couleuvrines leur répondirent puis il y eut des voix d'hommes qui hurlaient. Une tentative devait être faite sur la ville car la jeune femme pouvait voir des soldats s'agiter sur le rempart... A force de précautions, elle avait dépassé sans être vue la bastille Saint-Loup, approchait de la porte quand, derrière un pan de mur, elle vit une tête affleurer un escalier qui s'enfonçait dans la terre. Deux
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