Il suffit d'un Amour Tome 2
Guillaume Antes, elle s'était juré de s'y rendre, la nuit venue, pour l'obliger une bonne fois à s'expliquer. Mais quand venait le moment d'exécuter son projet, Catherine était prise d'une soudaine faiblesse qui lui ôtait tout courage. Avec cet homme bizarre, aux imprévisibles réactions, comment savoir s'il ne la jetterait pas à la rue devant tous ceux qui logeaient avec lui ?
Au matin du 8 mai, tandis qu'avec la ville entière elle assistait à la messe en plein air, dite sur le rempart face à l'armée anglaise en retraite, puis à l'immense procession d'actions de grâce qui allait, de ce jour, devenir tradition, Catherine sentait l'angoisse l'étreindre. La ville était libre et Catherine n'avait plus aucune raison de s'éterniser chez les Boucher. Il allait bien falloir prendre une décision. Mais que faire ? Où aller pour demeurer auprès d'Arnaud ? La tâche de Jehanne n'était pas terminée. La Pucelle, Catherine le savait pour le lui avoir entendu dire, voulait conduire Charles VII à Reims pour qu'il y reçût le sacre qui mettrait fin à toutes les contestations dont, depuis de longues années, il était l'objet. Avec Jehanne, avec Charles, s'en iraient les capitaines, Arnaud comme les autres. Et c'était ce départ, qu'elle devinait proche, qui affolait Catherine car elle ne savait comment y remédier.
Lorsque Jehanne, la procession terminée, rentra à la maison Boucher pour y prendre un peu de repos, Catherine la suivit jusque dans sa chambre pour l'aider à se mettre à l'aise. Elles demeurèrent seules, un moment, toutes les deux, Mathilde et Marguerite étant retenues par les derniers préparatifs du grand repas des notables. Catherine décida d'en profiter. Tout en aidant Jehanne à déposer les différentes pièces de son armure, elle supplia humblement :
— Jehanne ! La ville est libre maintenant et, bientôt sans doute, vous partirez pour continuer votre tâche qui ne s'arrête pas là. Je voudrais que vous me laissiez vous suivre tout au long de votre route. Je serai ce que vous voudrez que je sois : votre servante, par exemple. Je veillerai sur vos vêtements et sur vos logis...
Surprise, Jehanne la regarda. Ses yeux clairs parurent enfoncer leur double rayon au fond du cœur même de Catherine. Elle sourit, mais secoua la tête.
— J'aimerais vous garder, ma mie Catherine. Mais je ne peux pas vous permettre de me suivre. Là où je vais n'est point votre place. Moi, je suis fille des champs, habituée à monter de gros chevaux, aux durs travaux, à la vie difficile et rude. Vous êtes une noble dame, fragile et délicate malgré les peines que vous avez endurées.
— Moi ? Je suis fille du peuple, Jehanne, autant et plus que vous peut-
être, s'écria Catherine avec une nuance d'orgueil et de défi qui amena un sourire amusé sur les lèvres de la guerrière.
— C'est vrai, vous me l'avez déjà dit, et c'est bien d'en être fière. Mais, Catherine, il y a autre chose : vous êtes beaucoup trop belle et séduisante pour vivre au milieu d'une armée. Ce ne sont point des anges que nos soldats et leurs capitaines, tant s'en faut, et vous avez tout pour réveiller en eux les pires instincts, allumer des querelles, des jalousies.
— Je m'habillerai en homme, comme vous. Je couperai mes cheveux...
— Cela ne servirait à rien. Même sous le froc d'un moine, même la tête rasée, vous demeureriez trop femme encore. Non, Catherine. De longs et difficiles combats attendent ces hommes. Je dois veiller à leur éviter tout ce qui peut les désunir. Le gentil Dauphin et Messire Dieu ont trop besoin d'eux. Il vaut mieux que vous retourniez chez vous en attendant la fin de la guerre.
— Que je retourne chez moi, en Bourgogne ? fit Catherine atterrée. Pour que j'y retombe au péché ? Jehanne, vous savez bien ce que fut ma vie là-bas. Vous ne pouvez pas m'y renvoyer. Pas vous !
La Lorraine réfléchit un moment. Catherine lui tendit le pourpoint de drap fin, mi-parti rouge et vert, aux couleurs d'Orléans, que Dunois venait de lui offrir. Lorsqu'elle eut fini d'en nouer les aiguillettes, Jehanne posa la main sur l'épaule de son habilleuse bénévole :
— Vous avez raison, dit-elle. Si vous ne vous sentez pas la force de résister aux anciens entraînements, il vaut mieux ne pas retourner. Mais alors, que puis- je vous offrir, Catherine ? L'abri d'un couvent ? Vous n'êtes guère faite pour les rigueurs du cloître. Il y a en vous trop de vie qui ne demande qu'à
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