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Inconnu à cette adresse

Inconnu à cette adresse

Titel: Inconnu à cette adresse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Kathrine Kressmann Taylor
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facile pour
elle mais elle ne s’est jamais plainte. Elle a du cran, en plus
de la beauté et, je l’espère, du talent. Elle me
demande de tes nouvelles, Martin, avec beaucoup d’amitié.
Plus la moindre amertume de ce côté-là, ce
sentiment passe vite à son âge. Il suffit de quelques
petites années pour que la blessure ne soit plus qu’un
souvenir ; bien sûr, aucun de vous deux n’était
à blâmer. Ces choses-là sont comme des tempêtes :
on est d’abord transi, foudroyé, impuissant, puis le
soleil revient, on n’a pas complètement oublié
l’expérience, mais on est remis du choc. Il ne reste à
Griselle que le souvenir de la douceur et non plus du chagrin. Toi ou
moi ne nous serions pas comportés autrement. Je n’ai pas
écrit à ma petite sœur que tu étais rentré
en Europe mais je le ferai peut-être si tu penses que c’est
judicieux ; elle ne se lie pas facilement, et je sais qu’elle
serait contente de sentir qu’elle a des amis non loin.
    Quatorze ans déjà
que la guerre est finie ! J’espère que tu as
entouré la date en rouge sur le calendrier. C’est fou le
chemin que nous avons parcouru, en tant que peuples, depuis le début
de toute cette violence Mon cher Martin, laisse-moi de nouveau
t’étreindre par la pensée et transmets mes
souvenirs les plus affectueux à Elsa et aux garçons.

    Ton fidèle Max

Lettre
2

    SCHLOSS
RANTZENBURG, MUNICH, ALLEMAGNE

    Le 10 décembre
1932

    Mr Max Eisenstein
    Galerie Schulse-Eisenstein
    San Francisco,
    Californie, USA

    Max, mon cher vieux
compagnon,

    Merci de la promptitude avec
laquelle tu m’as envoyé les comptes et le chèque.
Mais ne te crois pas obligé de me commenter nos affaires avec
un tel luxe de détails. Tu sais que je suis d’accord
avec tes méthodes ; d’autant qu’ici, à
Munich, je suis débordé par mes nouvelles activités.
Nous sommes installés, mais quelle agitation ! Comme je
te l’ai dit, il y avait longtemps que cette maison me trottait
dans la tête. Et je l’ai eue pour un prix dérisoire.
Trente pièces, et un parc de près de cinq hectares et
demi, tu n’en croirais pas tes yeux. Mais il est vrai que tu
ignores à quel niveau de misère est réduit mon
pauvre pays. Les logements de service, les écuries et les
communs sont très vastes et, crois-le ou non, pour les dix
domestiques que nous avons ici, nous payons le même prix que
pour les deux seuls que nous avions à San Francisco.
    Aux tapisseries et autres
pièces que nous avions expédiées par bateau
s’ajoutent nombre de beaux meubles que j’ai pu me
procurer sur place. Le tout est d’un effet somptueux. Nous
sommes donc très admirés, pour ne pas dire enviés,
ou presque. J’ai acheté quatre services de table de la
porcelaine la plus fine, une profusion de verres en cristal et une
argenterie devant laquelle Elsa est en extase.
    Ã€ propos d’Elsa…
non, c’est trop drôle ! Voici qui va sûrement
t’amuser… je lui ai offert un lit énorme,
gigantesque, un lit comme on n’en avait encore jamais vu, deux
fois grand comme un lit double, avec des montants de bois sculpté
vertigineux. En l’occurrence, j’ai dû faire
fabriquer sur mesure des draps du plus beau lin. Elsa riait comme une
gamine en le racontant à sa grand-mère ; mais
celle-ci a secoué la tête et grommelé :
«  Nein, Martin, nein.
    Vous avez fait ça,
mais maintenant prenez garde, parce qu’elle va encore grossir
pour remplir son lit.
    â€”  ja, dit
Elsa. Encore quatre grossesses et je tiendrai tout juste dedans. »
Tu sais quoi, Max ? Eh bien, c’est vrai.
    Pour les enfants, il y a
trois poneys (petit Karl et Wolfgang ne sont pas en âge de
monter) et un précepteur. Leur allemand est exécrable,
tristement mâtiné d’anglais.
    Pour la famille d’Elsa,
la vie n’est plus aussi facile qu’avant. Ses frères
ont tous une profession libérale, mais, quoique très
respectés, ils doivent vivre ensemble, forcés de
partager une maison. À leurs yeux, nous sommes des
millionnaires américains. Il s’en faut de beaucoup

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