Jean sans peur
insulte vous a répondu. Je tiens la vôtre pour reçue. Tenez la mienne pour valable. Où et quand vous voudrez, nous nous retrouverons.
Et il sortit paisiblement. La duchesse le suivit et ferma la porte contre laquelle elle s’appuya. Il était temps. Les Armagnacs s’élançaient pour frapper le chevalier. La porte fermée les arrêta deux minutes pendant lesquelles ils se consultèrent. Le comte d’Armagnac, en dernier ressort, jugea que l’autorité de la châtelaine pouvait être, en cette occurrence, tenue pour non avenue, et décida qu’il fallait tuer sur le champ le meurtrier du duc d’Orléans. Lui-même ouvrit la porte. Il ne trouva que la duchesse, Passavant avait disparu.
– Qu’avez-vous fait ? s’écria le comte.
– Je l’ai sauvé, dit doucement Valentine.
– Ah ! madame, c’est peut-être un plus grand malheur que vous ne pensez !
Oui, Valentine avait sauvé Passavant. À peine seule avec lui, elle ouvrit une autre porte qui donnait sur l’un des escaliers du château.
– Descendez ! dit-elle. Et vite ! Les furieux vont entrer.
– Madame, dit Passavant, paisible et respectueux, j’aime mieux mourir ici que de vous laisser croyant au crime qu’on m’impute. Sur Dieu, madame, me croyez-vous le meurtrier ?
– Sur Dieu, répondit Valentine, je crois que vous avez tenté de sauver mon malheureux époux et que vous êtes arrivé trop tard, comme vous le racontiez.
Passavant s’agenouilla, saisit la main de la duchesse.
– Madame, reprit-il, vous me croyez donc digne de revoir Roselys ?
– Oui. Et je vous dirai où elle vit, sous quel nom elle vit. Mais, allez. Plus un instant à perdre. Descendez cet escalier aussi bas qu’il vous conduira, dites simplement : « La marraine d’Odette m’envoie à vous… » Allez… et que Dieu vous garde !
– Odette ! murmura le chevalier enivré. Ce nom béni me protège donc ici comme l’ange qui le porte m’a sauvé de la Huidelonne !
Il s’élança dans l’escalier.
– Odette ! murmurait de son côté Valentine de Milan. Odette… Roselys !
Comme on le lui avait dit, Passavant descendit jusqu’au bas de l’escalier, et là, en effet, trouva un homme armé qui lui cria :
– Rebroussez chemin, on ne passe pas ici !
– Mais moi, je passe, dit Passavant, car la marraine d’Odette m’envoie à vous.
– En ce cas c’est différent, dit l’homme avec un soudain respect. Suivez-moi, mon gentilhomme, et faisons vite, car vous avez le mot d’ordre des heures tragiques.
Passavant, du fond du cœur, envoya un souvenir ému à la châtelaine de Pierrefonds, et, suivant rapidement son guide, s’élança dans un long couloir souterrain – une de ces assurances de fuite comme il en existait alors à tous les châteaux féodaux pour le cas de prise et mise à sac. Ce souterrain passait sous les murs du château et aboutissait presque au pied de la colline.
Passavant, après avoir franchi deux portes de fer, se retrouva, non sans étonnement, dans les caves même de cette auberge où il avait laissé son cheval. Sans doute l’hôte était là pour recevoir ceux qui, d’accord avec les maîtres du château, prenaient ce moyen de fuite. Sans doute l’auberge elle-même n’était là que pour masquer l’entrée du souterrain. Cet hôte, qui se montra fort empressé auprès de Passavant, lui assura que le cheval avait mangé, et lui conseilla de piquer des deux. Passavant n’entrevit ce brave que quelques secondes, dans l’obscurité, mais il lui parut avoir une telle ressemblance avec l’hôte de la Truie Pendue qu’il ne pût s’empêcher de lui demander :
– Seriez-vous d’aventure un frère de maître Thibaud Le Poingre ?
– Non, répondit l’hôte étonné. Mais si vous voulez m’en croire, sautez en selle sans plus tarder, car le mot de passe que vous avez donné ne sert que dans les circonstances où il est question de vie et de mort.
Tout compte fait, le chevalier trouva le conseil raisonnable. Il monta donc à cheval et se dirigea tout droit sur Villers-Cotterets. Comme il entrait sous le couvert de la forêt, plusieurs cavaliers chargés de le poursuivre sortirent du château. Mais le chevalier était loin déjà, et pour supprimer une inutile inquiétude aux lecteurs qui s’intéressent à lui, nous pouvons dire tout de suite que les Armagnacs ne l’atteignirent pas et rentrèrent bredouilles après avoir battu les bois d’alentour.
Après avoir failli
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