Jean sans peur
Isabeau fût sauvée ?
– Le même, dit Passavant avec non moins de rudesse. Mais vous insinuez au lieu d’accuser… Silence, messieurs ! cria-t-il, et le murmure des gentilshommes s’éteignit. Il s’agit ici plus que de ma vie : de mon honneur et de mon nom ! On vient de dire qu’à l’affaire de Vincennes, les Écorcheurs se sont retirés devant moi… c’est faux ! Ils ont fui… ce n’est pas la même chose, je crois !
– Passavant ? reprit Armagnac… Le même qui, en l’une de ces soirées de débauche et d’ivresse où se complait la Bavaroise, a été remarqué par elle et s’est mystérieusement entretenu avec elle ?
– Entretenu, oui ; mystérieusement, non !
– Passavant ? Le même qui, dans une auberge de la rue Saint-Martin, a magnifiquement traité les sires de Scas, d’Ocquetonville, de Courteheuse et de Guines, âmes damnées de Jean de Bourgogne ?
Le chevalier eut un éclat de rire strident :
– Pour le coup, c’est vrai, même « magnifiquement » ! Le sire de Guines en sait quelque chose.
– Ne riez pas ! dit Armagnac avec une gravité sinistre. Je vous jure que ce n’est pas le moment !
– Bah ! fit le chevalier dont le sourire fut d’une tragique ironie, j’ai ri avec la mort, je puis bien rire avec vous, et n’était la présence de cette douleur vivante, je vous jure que je rirais bien plus fort. Madame, vous pouvez pardonner cet éclat de rire : à l’attitude de ces messieurs, je présume que ce sera le dernier.
Il y eut un silence pesant.
Armagnac, d’une voix sombre, prononça enfin :
– Madame, et vous, nobles hommes, vous avez entendu. Le sire de Passavant est l’ami de la reine, ennemie du mort. Il est affilié aux Écorcheurs, et si un doute subsistait, ce qui s’est passé dans la rue Saint-Martin suffirait à établir la vérité. Il est l’ami des Bourguignons qui, pour mieux couvrir leur maître, ont feint de vouloir arrêter cet homme hier matin, et l’ont laissé fuir. Sire de Passavant, sur Dieu et votre âme, pouvez-vous jurer que vous n’êtes pas entré dans la rue Barbette la nuit du crime ?
Le sourire du chevalier devint livide. Il leva la main, et dit :
– Sur Dieu et mon âme, je jure que dans la nuit du crime, je me suis trouvé non seulement dans la rue Barbette, mais encore près du noble duc.
Le silence, alors fut effrayant. Mais Passavant continua :
– J’attends !… J’attends que vous disiez tout haut ce que vous pensez !
– Le voici ! dit Armagnac. Je pense que vous êtes l’assassin de mon cousin d’Orléans. Est-ce votre avis, nobles hommes ?
– C’est notre avis, répondit la troupe d’une seule voix.
– Quel châtiment a mérité cet homme ? reprit Armagnac.
– La mort ! répondit la voix énorme faite de toutes ces voix furieuses. Vengeance ! Vengeance !
Passavant, d’un geste foudroyant, tira sa longue rapière flexible, en appuya la pointe sur le parquet, et, penché en avant, la figure effrayante, la voix rocailleuse :
– Et vous, que méritez-vous ? Sire d’Armagnac, gentilshommes, que méritez-vous pour, faussement et sans autre preuve qu’un ramassis de circonstances, accuser l’homme qui est devant vous ? Je vous accuse, moi ! Je vous accuse de félonie et lâcheté parce que votre accusation est vaine et que vous vous mettez à trente pour la soutenir !
– À la potence ! hurla la bande cravachée par ces paroles. À mort ! Tout de suite !
– À mort ! dit Passavant, terrible… Soit ! Tuez-moi ! Qui de vous va me tuer ?
Sa rapière siffla dans l’air.
– Allez ! rugit Armagnac.
C’était le signal. Tous ensemble, ils s’élancèrent sur Passavant, les dagues levées jetèrent des éclairs, et par des cris, par les jurons, par les insultes, ils s’excitèrent au meurtre. C’était fini. Le chevalier allait tomber. À ce moment, Valentine, d’un mouvement rapide, se plaça devant lui et cria :
– Que nul ne bouge ! Seule je commande ici !
– Mais, madame… gronda le comte d’Armagnac, tandis que la troupe entière s’immobilisait.
– Cet homme est mon hôte, dit Valentine d’une voix de souveraine majesté.
Passavant rengaina sa rapière, comme si ce mot seul l’eût fait sacré.
– Venez, monsieur ! dit-elle d’un ton de commandement, tandis que, des yeux, elle contenait encore pour quelques secondes la meute des meurtriers.
– Messieurs, dit Passavant, vous m’avez insulté. Mon
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