la Bible au Féminin 03 Lilah
Jérusalem ont donné leurs filles aux hommes de Jérusalem ! Leurs nouveau-nés remplissent nos couches depuis le départ de Néhémie ! Et toute cette engeance va et vient dans les rues de Jérusalem comme s’ils étaient fils d’Israël ! Bientôt, ils seront en âge, eux aussi, de mêler leur souche impure à celle du peuple de Yhwh. Notre anéantissement est prévisible. Et toi, Ezra, tu voudrais que Yhwh ressoudât Son Alliance avec nous ? Qu’il étendît Sa main sur toi ?
Je n’étais pas là. Un enfant, justement, naissait pas bien loin de notre maison et l’on m’avait appelée. Mais on m’a raconté l’événement en détail.
En entendant ces mots Ezra se précipita sur les marches du Temple. Là, il réduisit ses vêtements en loques. Sa tunique, son manteau, il les a déchirés comme si vingt mains l’empoignaient. Il a réclamé un couteau. Sous les yeux des prêtres, des lévites et des dévots, il s’est rasé.
Rasé la tête, rasé la barbe. Son crâne nu et ses joues nues, blêmes comme si la lèpre les recouvrait.
Après quoi, il s’est assis sur les marches du Temple et n’en a plus bougé. Il est demeuré ainsi, prostré. La bouche close, les yeux fixes, les mains immobiles.
Ceux du Temple ont ameuté la foule. On est venu de partout voir Ezra et pousser des cris devant sa tête lépreuse. On l’a supplié de parler, de proférer une parole.
Mais il est demeuré cloué dans le silence. Les prêtres s’occupaient de crier autour de lui à sa place :
— Ezra est nu devant la Parole de Yhwh ! Ezra craint Yhwh ! Ezra porte toute l’infidélité de ceux de l’exil sur sa tête !
C’est à ce moment que j’ai rejoint la foule.
Je l’ai vu de mes yeux, recroquevillé sur les marches, le visage défait. Les yeux durcis par la tristesse. Il n’avait plus de bouche, seulement deux traits comme taillés par un glaive.
Il ne voyait rien, ne regardait rien. Ou peut-être ressassait-il des pensées très anciennes. Des pensées du temps où nous étions enfants qu’il s’apprêtait à briser comme on brise les promesses. Oui, je l’ai pensé.
J’ai pensé aussi que je ne le reconnaissais plus. Qu’il n’était déjà plus celui que j’avais serré en larmes contre moi quelques jours plus tôt.
Mon frère s’en était allé. Il avait disparu, et avec lui s’étaient évanouis sa belle bouche et ses yeux d’espérance.
Ou était-ce la pâleur de son crâne et de ses joues qui m’ont fait songer à cela ?
À l’offrande du soir il s’est dressé d’un coup dans ses loques. Alors, la foule autour du temple est devenue silencieuse.
Un silence effrayant.
Et maintenant que je l’écris, j’ai peur une fois encore. Ma main est lourde des mots qu’elle va coucher sur le papyrus.
Ezra va devant l’autel. Il s’avance devant la belle vasque toute neuve, purifiée depuis peu. Nous retenons notre souffle. Même les prêtres et les dévots se taisent. Eux aussi sont envahis de crainte. On le voit dans leurs yeux et le poing qu’ils serrent sur leur bouche.
Ezra se laisse tomber à genoux. Il tend les paumes vers Yhwh. On l’entend qui geint. D’abord ce ne sont pas des mots, seulement des gémissements. Puis il lance vers le ciel :
— Mon Dieu, j’ai honte ! Je suis confus de lever mon visage vers Toi, car nos fautes n’en finissent pas, nos offenses montent vers Toi jusqu’au haut du ciel ! Depuis les jours de nos pères et jusqu’à aujourd’hui nous sommes grandement coupables. C’est à cause de nos fautes que nous avons été livrés aux mains des rois étrangers, à l’épée, à la captivité. À l’humiliation, comme aujourd’hui encore ! Nous avons déserté Tes commandements, édictés par Tes serviteurs et Tes prophètes. Pourtant ils ont dit : « La terre dont vous héritez est impure, souillée par les peuples environnants et les horreurs dont ils l’ont nourrie. Vos filles, vous ne les donnerez pas à leurs fils. Leurs filles, vous ne les marierez pas à vos fils ! » Voilà quelle est Ton instruction. Après tout ce qui nous est arrivé par notre inconduite, allons-nous encore rompre avec Tes ordres, Yhwh ? Allons-nous nous allier à ces peuples et à leurs abominations ? Comment ne Te mettrais-tu pas en colère jusqu’à anéantir ce qui reste de nous ? Yhwh, Dieu d’Israël, nous voici devant Toi dans notre faute. Et nous ne pourrons nous tenir droits tant qu’elle ne sera pas réparée. Ô, Yhwh, impossible
Weitere Kostenlose Bücher