La croix de perdition
mentionnait. Au fond, monsieur de Villanova doutait de leur existence. Pour les raisons qu'il avait lancées à Arnaud Amalric. Dieu ne permettrait jamais que la représentation du corps de Son fils, martyrisé sur la croix, concède un pouvoir d'horreur et de destruction. En vérité, monsieur de Villanova doutait que la croix de perdition accorde l'immortalité à quiconque la possédait… mais en était-il certain ? Le gouffre qui séparait la sérénité de l'inquiétude se résumait à cette unique question. Et si un autre fol, désespéré par son anonymat, sa médiocrité, assoiffé de gloire et de démesure, se convainquait un jour du contraire ? Tout recommencerait alors.
Il lui fallait retrouver cette croix avant quiconque. La faire exorciser, la détruire. Aidé par ses compagnons de guerre obscure, il convaincrait Clément V de cette nécessité. Après tout, le pape, comme ses prédécesseurs, vivait dans la crainte permanente d'une nouvelle hérésie.
Un sourire détendit le visage charnu de monsieur de Villanova, et il étouffa un rire. Un vieillard ? Soixante-dix-sept ans ? La belle affaire ! Tudieu ! Sornettes de bonne femme en vérité. Il la tiendrait en laisse, la vieillerie, et encore longtemps. Il avait à nouveau un but, une mission. Il trouverait l'énergie, la force et la pugnacité qui allaient avec. Il retrouverait la croix de Béziers.
Un coup sans délicatesse frappé contre sa porte le releva. La silhouette massive d'un gens d'armes s'encadra dans le chambranle. Le bonnet à la main, l'homme déclara :
– Votre chariot couvert est prêt, messire. Les chemins sont encore mauvais, mais on passera.
BRÈVE ANNEXE HISTORIQUE
Amalric (ou parfois Amaury) Arnaud, ?-1225.Issu d'une famille noble, ce moine cistercien devient évêque de Poblet (Catalogne) puis de Grandselve et enfin de Cîteaux. Il est ensuite nommé archevêque de Narbonne en 1212. Légat du pape, il est l'un des artisans principaux de la lutte contre le catharisme. Il encourage le pape Innocent III à prêcher la croisade contre les Albigeois. Homme de robe, mais également soldat, il prend la tête de cette croisade en juillet 1209, aux côtés de Simon IV de Montfort, lors du sac de Béziers. C'est à cette occasion qu'il aurait dit, alors qu'on lui demandait comment reconnaître les catholiques des hérétiques : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. » Il convient de préciser qu'une seule source mentionne cette phrase : le moine cistercien allemand Césaire de l'abbaye de Heisterbach, plus de dix ans après le sac de Béziers. On ne la retrouve dans aucun des témoignages de ceux qui se trouvaient sur place au moment des faits. Arnaud Amalric commande également plus tard l'armée des ordres militaires en Espagne, lors des combats de reconquête sur l'islam.
Béziers (sac de). Le roi de France Philippe II Auguste refuse d'abord au pape l'assistance de son armée afin d'étouffer l'hérésie albigeoise. Il faut l'assassinat, en 1208, de Pierre de Castelnau, légat du Saint-Père, par un chevalier de l'entourage du comte Raymond VI de Toulouse pour décider le souverain français à lâcher ses chevaliers nordiques contre les pays du sud. Certains des seigneurs du nord sont motivés par la foi, d'autres espèrent récupérer pour eux les fiefs du sud. Raymond VI de Toulouse sent que l'un des véritables objectifs de cette croisade n'est autre que lui. En effet, sa principauté attise les convoitises du duc d'Aquitaine, roi d'Angleterre, et du comte de Barcelone, roi d'Aragon, ses proches voisins. Une accusation d'hérésie ou de complicité avec les Albigeois leur fournissait un admirable prétexte pour intervenir dans les terres toulousaines et les annexer. S'ajoute à cela le désir du Vatican de mettre au pas une Église méridionale peu soumise à Rome. Raymond VI se réconcilie donc à la hâte avec l'Église. Cependant les croisés ont besoin d'un bouc émissaire pour légitimer leur attaque. Raimond-Roger de Trencavel, vicomte de Béziers et de Carcassonne, fait une parfaite cible de substitution. Il est donc accusé du développement de l'hérésie en Languedoc.
Le sac de Béziers est décidé le 22 juillet 1209 au prétexte que les consuls de la ville (les capitouls) ainsi que la population refusent de livrer les 223 hérétiques recensés par l'évêque, alors que l'on avait fait de Béziers un des grands centres du catharisme. Il est, au demeurant, étonnant de constater
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