La Dernière Année De Marie Dorval
infortunes des autres ! Merci donc pour
vos pages attendrissantes sur Dorval !
Le lendemain de votre appel aux sympathies
posthumes des amis de la défunte, je me suis empressé d’y répondre
en envoyant vingt francs aux bureaux du
Mousquetaire
; aujourd’hui que vous retirez la
souscription et que vous invitez les souscripteurs à retirer aussi
leurs versements, vous me causez un petit embarras. Mes sentiments
superstitieux ne me permettent pas de remettre dans ma bourse de
l’argent destiné à m’associer à une œuvre pieuse, même en me
proposant de l’employer plus tard à un usage analogue. Je vous prie
donc, mon cher ami, de disposer de ces pauvres vingt francs en
faveur des petites filles incurables, pour lesquelles vous avez
quêté souvent d’une manière si touchante. J’ai oublié le nom de la
petite communauté des bonnes sœurs qui se vouent aux soins de ces
enfants malheureux, et je vous prie de m’en donner de nouveau
l’adresse, car il pourrait bien arriver que j’en eusse besoin dans
un moment où des velléités de charité me passent par la tête ;
j’aime de temps en temps à faire remettre une carte chez le bon
Dieu.
Je suis toujours dans le même état ; mes
crampes de gorge sont toujours les mêmes, et elles m’empêchent de
faire de longues dictées. Le mot
dicter
me rappelle, dans
ce moment, l’imbécile Bavarois qui était mon domestique à Munich.
Il avait remarqué que souvent, pendant des journées entières,
j’étais occupé à dicter, et lorsqu’un de ses dignes compatriotes
lui demandait quel était mon état, il répondait : Mon maître
est dictateur.
Adieu, je dois déposer ici ma dictature et
j’ai hâte de vous dire mille amitiés.
Votre tout dévoué,
HENRI HEINE.
Mon bien cher Heine,
Nous réservons vos vingt francs, vous allez
voir tout à l’heure pourquoi.
Lisez la lettre qui suit ce petit mot et ma
réponse à cette lettre.
Vous êtes toujours mon grand, bon et spirituel
ami.
Je demande à rester le vôtre.
ALEX. DUMAS.
Et celle-ci encore :
Paris, 31 juillet 1855.
Mon cher Monsieur Dumas,
Malgré l’avis publié en tête du
Mousquetaire
, les sommes versées pour la souscription ne
sont pas retirées.
Le pays tient trop à honneur d’élever à Marie
Dorval une tombe digne d’elle.
M. René Luguet s’est imposé une sainte et
noble tâche, que tous ceux qui ont connu madame Dorval veulent
partager.
Ainsi, que les bijoux soient dégagés par
M. Luguet, puisqu’il le demande.
C’est du reste son devoir.
Que la tombe du bon petit Georges soit élevée
par son père, c’est son droit.
Mais que le tombeau de madame Dorval soit
élevé par le produit de la souscription artistique que votre bon
cœur a si spontanément ouverte.
Tel est le vœu que j’exprime au nom des
nombreux admirateurs du talent.
À vous de cœur,
LÉOPOLD LEQUESNE.
Monsieur,
Vous avez parfaitement compris la situation,
et notre cher René Luguet l’a comprise comme vous, puisqu’il a
accepté au bénéfice de la pierre du tombeau la vente de la brochure
qui raconte la dernière année de la vie de Marie Dorval.
La brochure, qui sera mise en vente
aujourd’hui ou demain, est cotée cinquante centimes. Mais chacun
est libre de la payer ce qu’il voudra.
C’est donc au magasin de la Librairie
Nouvelle, chez Jaccottet et Bourdilliat, au coin du boulevard et de
la rue de Grammont, que je vous renvoie, Monsieur, et avec vous
tous ceux qui n’ont point oublié celle qui fut pour moi plus qu’une
grande artiste, celle qui fut une amie.
Faites donc appel, de votre côté, comme je
fais du mien, Monsieur, et que les bons cœurs nous répondent.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes
sentiments les plus distingués.
ALEX. DUMAS.
P - S
. Les personnes qui ont versé
des fonds, soit au bureau du
Mousquetaire
, soit chez moi,
soit à la
Librairie Nouvelle
, peuvent prendre chez
MM. Jaccottet et Bourdilliat autant de brochures que la somme
de 50 centimes se trouvera répétée de fois dans leur offrande.
Nous rappelons une seconde fois à nos lecteurs
que MM. Jaccottet et Bourdilliat ont refusé toute commission
dans cette vente.
Le produit sera donc net, une fois les frais
prélevés.
A.
D.
Pardon encore une fois, mon cher Luguet,
d’avoir fait une chose qui a pu vous contrarier, mais je suis tout
prêt de me féliciter d’une erreur qui fait jaillir des bons cœurs
de pareilles étincelles.
FIN
À propos de cette
Weitere Kostenlose Bücher