La Dernière Année De Marie Dorval
rentrait avec son
sac d’argent et sa brassée de fleurs, elle entendait plus
distinctement au fur et à mesure qu’elle montait
l’escalier :
– Bravo, Dorval, bravo, Dorval, et le
bruit que faisaient en se rapprochant deux mains d’enfant.
C’était Georges qui, réveillé par une secousse
magnétique, applaudissait sa grand’mère de ses petites mains et de
sa petite voix.
Et elle rentrait, elle jetait son sac d’argent
sur la table, puis elle s’élançait sur le berceau de l’enfant, où
elle faisait pleuvoir couronnes et bouquets, puis elle cherchait la
blonde tête de son chérubin au milieu des fleurs, et elle
l’embrassait avec une frénésie maternelle.
L’enfant jouait quelques minutes avec les
bouquets et les couronnes, et puis il s’endormait sous les roses,
les marguerites et les œillets.
Dorval prenait sa Bible, sa Bible qui ne la
quittait jamais ; elle lisait une des prières qui lui
servaient de sinet, elle embrassait son petit Georges au front,
elle murmurait ces mots « Dors, mon enfant Jésus ; »
et, pas à pas, tout doucement, de peur de le réveiller, elle
gagnait à son tour le lit où, bien souvent, moins heureuse que
l’enfant, les préoccupations de la vie matérielle la tenaient
éveillée pendant de longues heures.
Chapitre 2
Cet enfant était tout pour Dorval.
Il avait trois ans et demi, il était,
d’habitude, grave et sérieux. Il n’y avait rien d’étonnant à
cela ; cette grande âme, qui descendait à lui, l’élevait en
même temps à elle ; ils se rencontraient à moitié chemin, et
alors, se trompant à son âge, à l’aspect de sa précoce raison, sa
grand’mère lui parlait comme à un homme de vingt ans.
Dorval arrivait dans une ville avec le désir
de jouer le soir ; la pauvre créature n’avait pas plus de
temps à perdre que la fauvette qui doit nourrir toute sa couvée, –
elle arrivait donc dans une ville avec le désir, plus que cela,
avec le besoin de jouer le même soir. Elle quittait son vêtement de
voyage, mettait sa plus belle robe et disait à l’enfant :
– Je vais chez le directeur, mon petit
Georges ; tiens, voilà la
Bible
, regarde les images
des saints, et sois bien sage, en m’attendant, pour être un jour au
ciel comme eux.
– Oui, mè mère, répondait l’enfant.
Et il s’asseyait loin du feu, promettait de ne
pas en approcher, tenait parole, tandis que sa grand’mère sortait
pour s’en aller chez le directeur.
Elle sortait pleine d’espérance. Tant que
vécut son petit Georges, elle espéra. Une demi-heure après, elle
rentrait triste ou gaie, plus souvent triste que gaie.
L’enfant voyait sa tristesse et lui tendait
ses deux bras.
– Qu’as-tu, mè mère ? lui
demandait-il.
– Oh ! ne m’en parle pas, c’est
odieux, disait Dorval.
– Quoi donc ?
– Comprends-tu, Georges, ce misérable
directeur qui me fait venir, qui me dit de ne pas perdre de temps,
que tout est prêt, qu’on n’attend plus que moi, et puis pas de
répertoire ; nous en avons pour huit jours à attendre de
l’argent, que dis-tu de cela, mon Georges, mon chéri, mon amour,
mon ange ?
Et elle se ruait sur l’enfant, le serrait dans
ses bras, l’embrassait convulsivement.
– Patience, mè mère, disait la petite
voix de l’enfant, à moitié coupée par les baisers.
– Oui, patience, et qui n’aurait pas
patience avec toi, mon doux Jésus ! mais qu’allons-nous faire,
dis ?
– Nous nous promènerons, mè mère, nous
irons à la campagne à pied ; tu sais que je marche bien ;
cela coûte trop cher en voiture.
– Oh ! mon Dieu ! mon
Dieu ! criait Dorval, et n’avoir pas des sacs d’or pour en
couvrir un ange comme celui-là !
Et elle mettait à Georges ses plus beaux
habits, et elle le promenait, le tenant par la main, souvent le
portant malgré lui ; et les oisifs de province la regardaient
passer, disant :
– Tiens, c’est l’actrice de Paris, madame
Dorval.
– On dit que le directeur du théâtre lui
donne cinq cents francs par soirée.
Et l’on enviait la pauvre créature qui devait
peut-être attendre huit jours pour gagner le cinquième de cette
somme-là.
En jouant dans un jardin public à Marseille,
le petit Georges tomba un jour dans un bassin et disparut.
La mère allait s’y jeter après lui. Eugène
Luguet la retint, s’y jeta, lui, et retira l’enfant.
Elle pensa l’étouffer en l’embrassant.
On lui donna le rôle de Marie-Jeanne.
Tout
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