La Flèche noire
touché.
– Jurez-moi qu’il vit encore, répliqua-t-elle.
– Je ne veux pas jouer avec vous, répondit Dick. La pitié m’ordonne de vous blesser. En mon cœur, je crois qu’il est mort.
– Et vous voulez que je mange ! cria-t-elle. Oh ! et ils vous appellent « Sir » ! Vous avez gagné vos éperons par le meurtre de mon bon cousin. Et si je n’avais été sotte et traître à la fois, si je ne vous avais sauvé dans la maison de votre ennemi, c’est vous qui seriez mort, et lui – lui qui en valait douze comme vous – serait vivant.
– J’ai fait de mon mieux, comme a fait votre cousin de l’autre côté, répondit Dick. S’il vivait encore – comme j’atteste le ciel que je le souhaite ! – il me louerait, loin de me blâmer.
– Sir Daniel me l’a dit, répliqua-t-elle. Il vous a remarqué à la barricade. Contre vous, dit-il, leurs troupes ont échoué ; c’est vous qui avez gagné la bataille. Eh bien, alors, c’est vous qui avez tué mon bon Lord Risingham, aussi bien que si vous l’aviez étranglé de vos mains. Et vous voudriez que je mange avec vous… et vos mains ne sont pas même lavées de vos meurtres ? Mais Sir Daniel a juré votre perte. C’est lui qui me vengera.
L’infortuné Dick était plongé dans la tristesse. Le vieil Arblaster revint à son esprit, et il poussa un gémissement.
– Me jugez-vous si coupable ? dit-il ; vous qui m’avez défendue, vous qui êtes l’amie de Joanna ?
– Que faisiez-vous dans la bataille ? répliqua-t-elle. Vous n’êtes d’aucun parti ; vous n’êtes qu’un garçon, des jambes et un corps, sans gouvernement de l’esprit et sans raison ! Pourquoi vous êtes-vous battu ? Pour l’amour des coups, parbleu !
– Hé, s’écria Dick, je ne sais pas. Mais tel que va le royaume d’Angleterre, si un pauvre gentilhomme ne se bat pas d’un côté, il faut bien qu’il se batte de l’autre. Il ne peut pas rester seul ; la nature ne le veut pas.
– Ceux qui n’ont pas de jugement ne devraient pas tirer l’épée, répliqua la jeune femme. Vous qui vous battez au hasard, qu’êtes-vous, sinon un boucher ? La guerre n’est noble que par la cause défendue, et vous l’avez déshonorée.
– Madame, dit le pauvre Dick, je vois en partie mon erreur. Je me suis trop pressé ; je me suis lancé trop tôt dans l’action. Déjà j’ai volé un bateau – croyant, je le jure, bien faire – et par là j’ai causé la mort de bien des innocents, et le malheur et la ruine d’un pauvre vieux, dont la figure aujourd’hui même m’a frappé comme un coup de poignard. Et ce matin je n’avais pas d’autre but que de me faire valoir et de gagner un renom pour me marier, et voyez ! j’ai causé la mort de votre cher parent qui avait été bon pour moi. Et quoi encore, je ne sais. Car, hélas ! peut-être j’ai mis York sur le trône, et, peut-être c’est le pire parti, et peut-être j’ai fait du mal à l’Angleterre. Ô Madame, je vois ma faute, je ne suis pas fait pour la vie. Pour ma pénitence et pour éviter des maux plus grands, lorsque j’aurai fini cette aventure je me retirerai dans un cloître. Je renoncerai à Joanna et au métier des armes. Je serai moine et prierai pour l’âme de votre bon oncle toute ma vie.
Il sembla à Dick dans l’extrême humiliation de ses remords que la jeune femme avait ri.
Levant les yeux, il vit qu’elle le regardait à la lumière du feu avec une expression particulière, mais non sans douceur.
– Madame, s’écria-t-il, pensant que le rire avait été une illusion de son ouïe, mais espérant, au changement de son regard, avoir touché son cœur… Madame, cela ne vous suffira-t-il pas ? J’abandonne tout pour réparer le mal que j’ai fait ; j’assure le ciel à Lord Risingham. Et tout cela le jour même où j’ai gagné mes éperons et où je me suis cru le plus heureux jeune gentilhomme de la terre.
– Oh ! enfant ! dit-elle… grand enfant !
Et alors, à la grande surprise de Dick, elle essuya très tendrement les larmes sur ses joues, puis comme cédant à une impulsion soudaine, jeta les deux bras autour de son cou, lui releva la tête et l’embrassa.
L’ahurissement remplit l’âme simple de Dick.
– Mais venez, dit-elle, très joyeuse, vous qui êtes capitaine, il faut que vous mangiez. Pourquoi ne soupez-vous pas ?
– Chère mistress Risingham, répondit Dick. Je
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