La Flèche noire
barricadée, tantôt de lamentables cris de femmes.
Le cœur de Dick venait de s’éveiller. Il venait de voir les cruelles conséquences de sa propre conduite ; et la pensée de toute la somme de misères qui était en ce moment créée dans la ville de Shoreby le remplissait de désespoir.
Enfin il atteignit les faubourgs, et là, en effet, il vit droit devant lui, le même large sentier battu sur la neige qu’il avait remarqué du haut de l’église. Il alla donc plus vite ; mais tout en chevauchant, son œil attentif examinait les hommes tombés et les chevaux couchés au bord du chemin. Beaucoup de ceux-ci, cela le rassurait, portaient les couleurs de Sir Daniel et il reconnut même la figure de quelques-uns qui étaient couchés sur le dos.
Environ à mi-chemin entre la ville et la forêt, ceux qu’il poursuivait avaient visiblement été attaqués par des archers, car les cadavres se rapprochaient beaucoup, chacun traversé d’une flèche. Et là, Dick découvrit parmi les autres le corps d’un très jeune homme, dont les traits lui rappelaient une ressemblance familière.
Il arrêta sa troupe, descendit de cheval et souleva la tête du garçon. Ce faisant, le chapeau tomba et une masse de longs cheveux bruns se déroula. En même temps les yeux s’ouvrirent.
– Ah ! le chasseur de lions ! dit une voix faible. Elle est plus loin. Courez… Courez vite.
Et la jeune dame s’évanouit de nouveau.
Un des hommes de Dick apporta un flacon d’un fort cordial, avec lequel Dick réussit à lui faire reprendre connaissance. Alors il prit l’amie de Joanna sur l’arçon de sa selle et continua son chemin vers la forêt.
– Pourquoi me prenez-vous ? dit la jeune fille, vous retardez votre marche.
– Non, Mistress Risingham, répliqua Dick, Shoreby est plein de sang, d’ivresse et de désordre, ici vous êtes en sûreté. Calmez-vous.
– Je ne veux pas être obligée par quelqu’un de votre faction, cria-t-elle, mettez-moi à terre.
– Madame, vous ne savez ce que vous dites, répliqua Dick, vous êtes blessée.
– Je ne le suis pas, dit-elle, c’est mon cheval qui a été tué.
– Peu importe, répliqua Richard, vous êtes ici au milieu d’une plaine de neige et entourée d’ennemis : que vous le vouliez ou non, je vous emporte avec moi. Je suis heureux d’avoir cette occasion, car ainsi je paierai un peu de notre dette.
Pendant un moment, elle ne dit rien, puis brusquement elle demanda :
– Mon oncle ?
– Lord Risingham ? répliqua Dick, je voudrais avoir de bonnes nouvelles à vous en donner, Madame ; mais je n’en ai pas. Je l’ai vu une fois dans la bataille, une seule fois. Ayons bon espoir.
CHAPITRE V
NUIT DANS LES BOIS : ALICIA RISINGHAM
Il était presque certain que Sir Daniel s’était dirigé vers Moat-House ; mais à cause de la neige épaisse, de l’heure tardive et de la nécessité d’éviter les routes et de passer par le bois, il était non moins certain qu’il ne pouvait espérer arriver avant le lendemain.
Deux voies s’ouvraient à Dick ; soit continuer à suivre la trace du chevalier et, s’il pouvait, tomber sur son camp cette nuit même, ou chercher un autre chemin et tâcher de se placer entre Sir Daniel et son but.
Chacun de ces plans rencontrait de sérieuses objections, et Dick, qui craignait d’exposer Joanna aux hasards d’une bataille, ne s’était encore décidé pour aucun lorsqu’il atteignit la lisière de la forêt.
En cet endroit, sir Daniel avait incliné un peu vers la gauche, puis s’était enfoncé tout droit vers une futaie de hauts troncs. La troupe avait été formée sur un front plus étroit pour pouvoir passer entre les arbres, et la trace était piétinée d’autant plus profonde dans la neige. L’œil la suivait sous l’enfilade dépouillée des chênes, droite et étroite ; les arbres la couvraient avec leurs nœuds énormes et la grande forêt élevée de leurs branches ; aucun bruit, ni d’hommes ni de bêtes… pas même un vol de rouge-gorge ; et, sur la plaine de neige, lesoleil d’hiver dessinait un réseau d’ombres.
– Qu’en pensez-vous, demanda Dick à l’un de ses hommes, suivre tout droit où gagner Tunstall ?
– Sir Richard, répliqua l’homme d’armes, je suivrais leur trace jusqu’où ils se séparent.
– Vous avez raison, il n’y a pas de doute, répliqua Dick. Mais nous sommes partis très vite parce que le temps nous
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