La Guerre Du Feu
hémiones et, transversalement, une troupe de chevaux. Plusieurs franchissaient déjà la passe.
Naoh prit une grande avance sur les aurochs : on pourrait boire sans hâte. Lorsque les hommes atteignirent la plus haute colline, les aurochs retardaient de mille coudées.
Nam et Gaw pressèrent encore la course ; leur soif s’avivait ; ils contournèrent la colline, s’engagèrent dans la passe. L’Eau parut, mère créatrice, plus bienfaisante que le Feu même et moins cruelle : c’était presque un lac, étendu au pied d’une chaîne de roches, coupé de presqu’îles, nourri à droite par les flots d’une rivière, croulant à gauche dans un gouffre. On pouvait y accéder par trois voies : la rivière même, la passe qu’avaient franchie les Oulhamr et une autre passe, entre les rocs et l’une des collines ; partout ailleurs croissaient des murailles basaltiques.
Les guerriers acclamèrent la nappe. Orangée par le soleil mourant, elle apaisait la soif des grêles saïgas, des petits chevaux trapus, des onagres aux sabots fins, des mouflons à la face barbue, de quelques chevreuils plus furtifs que des feuilles tombantes, d’un vieil élaphe dont le front semblait produire un arbre. Un sanglier brutal, querelleur et chagrin, était le seul qui bût sans crainte. Les autres, l’oreille mobile, les prunelles sautillantes, avec de continuels gestes de fuite, décelaient la loi de la vie, l’alerte infinie des faibles.
Brusquement, toutes les oreilles se dressèrent, les têtes scrutèrent l’inconnu. Ce fut rapide, sûr, avec un air de désordre : chevaux, onagres, saïgas, mouflons, chevreuils, élaphe fuyaient par la passe du couchant, sous l’averse des rayons écarlates. Seul le sanglier demeura, ses petits yeux ensanglantés virant entre les soies des paupières. Et des loups parurent, de grande race, loups de forêt autant que de savane, hauts sur pattes, la gueule solide, les yeux proches, et dont les regards jaunes, au lieu de s’éparpiller comme ceux des herbivores, convergeaient vers la proie. Naoh, Nam et Gaw tenaient prêts l’épieu et la sagaie, tandis que le sanglier levait ses défenses crochues et ronflait formidablement. De leurs yeux rusés, de leurs narines intelligentes, les loups mesurèrent l’ennemi : le jugeant redoutable, ils prirent la chasse vers ceux qui fuyaient.
Leur départ fit un grand calme et les Oulhamr, ayant achevé de boire, délibérèrent. Le crépuscule était proche ; le soleil croulait derrière les rocs ; il était trop tard pour poursuivre la route : où choisir le gîte ?
– Les aurochs approchent ! fit Naoh.
Mais, au même instant, il tournait la tête vers la passe de l’ouest ; les trois guerriers écoutèrent, puis ils se couchèrent sur le sol.
– Ceux qui viennent là ne sont pas des aurochs ! murmura Gaw.
Et Naoh affirma :
– Ce sont des mammouths !
Ils examinèrent hâtivement le site : la rivière surgissait entre la colline basaltique et une muraille de porphyre rouge où montait une saillie assez large pour admettre le passage d’un grand fauve. Les Oulhamr l’escaladèrent.
Au gouffre de la pierre, l’eau coulait dans l’ombre et la pénombre éternelles ; des arbres, terrassés par l’éboulis ou arrachés par leur propre poids, s’étalaient horizontalement sur l’abîme ; d’autres s’élevaient de la profondeur, minces et d’une longueur excessive, toute l’énergie perdue à hisser un bouquet de feuilles dans la région des lueurs pâles ; et tous, dévorés par une mousse épaisse comme la toison des ours, étranglés par les lianes, pourris par les champignons, déployaient la patience indestructible des vaincus.
Nam aperçut le premier une caverne. Basse et peu profonde, elle se creusait irrégulièrement. Les Oulhamr n’y pénétrèrent pas tout de suite ; ils la fouillèrent longtemps du regard. Enfin, Naoh précéda ses compagnons, baissant la tête et dilatant les narines : des ossements se rencontraient, avec des fragments de peau, des cornes, des bois d’élaphe, des mâchoires. L’hôte se décelait un chasseur puissant et redoutable ; Naoh ne cessait d’aspirer ses émanations :
– C’est la caverne de l’ours gris..., déclara-t-il. Elle est vide depuis plus d’une lune.
Nam et Gaw ne connaissaient guère cette bête formidable, les Oulhamr rôdant aux régions que hantaient le tigre, le lion, l’aurochs, le mammouth même, mais où l’ours gris était rare.
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