La malediction de la galigai
épouvantable.
Le visiteur inclina la tête, se leva et défit les attaches de son manteau, laissant apparaître son pistolet, sa dague et son épée.
â Corne bouc ! Tu as vu, Fouille-Poche ? Le monsieur part en guerre !
Il s'adressait à un de ses compagnons. La saillie fit rire l'assistance.
â Prends-lui tout ça.
L'autre s'avança et ôta pistolet, dague et épée. L'homme en noir se laissa faire, songeant que rien ne se déroulait comme on le lui avait assuré.
â Maintenant, parle !
â C'est une proposition⦠qui⦠qui ne regarde que vous, monsieur, bredouilla-t-il, apeuré.
Petit-Jacques parut hésiter avant de hocher la tête.
â Viens avec moi !
Il s'adressa à ses compagnons :
â Vous autres, vérifiez qu'il n'y a pas d'archers dehors.
â Deux domestiques m'attendent, tenta d'expliquer le visiteur.
Mais Petit-Jacques était déjà parti vers le fond de la pièce, aussi le suivit-il, l'estomac noué.
Ils passèrent une porte et entrèrent dans un cabinet. Sur un tonneau se trouvaient des chopines vides et un pistolet à rouet. Une fenêtre ouvrait sur la Seine dont les flots grondaient.
â Regarde ! ordonna Petit-Jacques.
L'homme en noir s'approcha et vit une barque amarrée en bas d'une échelle.
â Si t'es du prévôt, tu es mort et je file par là . Maintenant, parle !
â Je ne suis pas au prévôt, au contraire. (Il déglutit.) On m'a dit que c'est vous qui aviez volé les dix-huit mille livres de la taille au receveur de Coutances, sur le grand chemin de Caen, malgré l'escorte. Que ce serait vous aussi qui auriez pris la recette de la gabelle d'Alençon. Vous, encore, qui auriez emporté les fonds que le contrôleur de l'élection 2 conduisait au receveur de la généralité.
â Compaing, tu en sais trop ! gronda l'autre en le saisissant par le cou.
â Attendez ! Ãcoutez-moi, je vous en supplie ! glapit l'homme en noir en essayant de se dégager. On m'a dit aussi que vous êtes le marinier le plus adroit ici et que personne ne connaît mieux la Seine que vousâ¦
â Qui t'as clabaudé tout ça ? aboya Petit-Jacques, en le lâchant.
â C'est sans importance ! Ce qui compte, c'est ceci : une barque partira de Rouen dans trois jours. Elle transportera un chargement d'or envoyé par le receveur général au trésorier de l'Ãpargne, à Paris. J'ai besoin de votre aide pour le prendre.
Petit-Jacques recula d'un pas et une étrange lueur s'alluma dans ses yeux délavés.
â Raconte !
â Je saurai l'heure du départ, mais il y aura des gens armés à bord.
â Combien ?
â Je l'ignore, mais pas plus de trois ou quatre.
â Ils ne me poseront pas de problème. La barque remontera à la voile ?
â Non, elle sera halée. Mais un halage escorté de mousquetaires.
â Combien ?
â Beaucoup, une centaine.
Le brigand secoua la tête.
â C'est trop dangereux !
â Bien sûr que c'est dangereux ! Mais votre part sera à la hauteur du risque.
Petit-Jacques parut hésiter. Finalement, il laissa tomber :
â Je veux mille pistoles !
â Non.
â Alors, file et ne reviens plus ! Je garde tes armes pour m'avoir dérangé.
â Pas mille pistoles. Cinq mille 3 , lança l'homme en noir, reprenant de l'assurance et comme pour le défier.
Il était sûr, ainsi, que le bandit allait l'écouter.
Petit-Jacques parut stupéfait, puis gronda :
â Ne te moque pas, compère !
â Je ne me moque pas, il y aura cinq mille pistoles pour vous si l'entreprise réussit. Bien plus que pour moi qui en aurai à peine le dixième.
Le truand resta silencieux. Qui était cet homme ? Cette affaire ressemblait furieusement à un piège du prévôt des maréchaux de Rouen.
â Qui t'envoie ?
â Vous ne les connaissez pas, ce sont des Italiens.
Il y avait beaucoup d'Italiens autour du gouverneur de Normandie, songea Petit-Jacques. Et ils avaient la réputation d'être des voleurs. Peut-être que tout ça était vrai, après tout.
â Combien y a-t-il dans ce chargement ? demanda-t-il
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