La nièce de Hitler
Léo
quand j’ai entendu ta voix, Adi.
— Ma tante préférée ! s’exclama
Hitler. Ma tantine chérie ! Comment allez-vous ?
— Oh, juste un peu fatiguée, répondit
tante Johanna. J’ai l’habitude.
Elle tendit sa main gauche qu’il baisa, imité
par August Kubizek.
Angela prit la petite dans son berceau et la
tint à la hauteur du visage d’Hitler, pour qu’il puisse l’embrasser sur le
front.
— Tu l’es, jolie ! lui dit son oncle
en remuant la main gauche de Geli avec son index.
Elle serra le doigt dans son poing refermé.
— Fräulein, accordez-moi le plaisir de me
présenter : Herr Adolfus Hitler.
— C’est ton oncle, Angelika, dit Angela.
Elle secoua le bébé pour le faire sourire, mais
Geli se contentait de fixer les cheveux d’Hitler.
— Tu vois ? Elle t’aime.
— Et pourquoi pas ? répondit Hitler.
Léo Raubal interpella August Kubizek.
— Une bonne bière, ça vous dit ?
— Vous avez pris de l’avance, on dirait, répondit
le jeune homme en se dirigeant vers la cuisine.
— Oh, à peine un pichet !
Angela confia Geli à tante Johanna et suivit
August pour aller sortir les pommes de terre du four, mais Hitler resta dans le
salon.
Surgissant dans la cuisine une chope de bière
à la main, apparut un évêque costaud aux cheveux blancs, portant des lunettes
sans monture et vêtu d’une soutane d’un noir d’encre, boutonnée et passepoilée
de rouge.
— Bienvenue, Herr Kubizek ! dit-il d’une
voix trop forte. Alors, le conservatoire de musique, ça vous plaît ?
— Beaucoup, monseigneur.
— Cet enfant est un véritable prodige, dit
le vieux prêtre à Raubal. Vous jouez du violon, de l’alto, du piano… et quoi d’autre ?
— Aussi de la trompette et du trombone.
— Amadeus Mozart ! fit le vieux
prêtre.
Angela sortit un plat du four et le posa sur
la table de la cuisine, sur un dessous de plat en fer.
— Voici les pommes de terre. Et il y a
des rollmops dans la glacière.
Raubal tendit à Kubizek une chope et un poêlon
de tranches de Kielbasa froides marinées dans la bière, puis fixa
intensément le front haut et le visage rond et féminin du jeune homme.
— Et notre Adolf, qu’est-ce qu’il
fabrique à Vienne, pendant que vous étudiez la musique ?
— Oh, il travaille ; très dur même. Parfois
jusqu’à deux ou trois heures du matin.
— À quoi ? demanda Raubal, stupéfait.
— Des aquarelles d’églises, du Parlement,
du Palais du Belvédère. Il étudie la mythologie nordique et teutonique. Il
écrit sur tout un tas de sujets. Et il s’intéresse à l’urbanisme. Adolf passe
ses après-midi sur le Ringstraße, à observer tout très attentivement, et la
nuit, il en redessine des parties entières. Des choses étonnantes, vraiment. Il
a fait des plans pour un nouvel Opéra. Et également pour un pont sur le Danube,
ici à Linz.
— Et irais-je jusqu’à supposer que
personne ne le paie pour ça ? ironisa Raubal.
— Nous sommes les amis de la pauvreté, alors
ce n’est pas un problème.
— Vous savez ce que c’est, la pauvreté
pour Hitler ? Une pension d’orphelin de vingt-cinq kronen par mois, plus
mille qu’il a empruntés à sa tante Johanna.
— Vous voudrez autre chose à manger ?
demanda Angela.
On ignora sa question.
— Et à combien se monte le salaire d’un
honnête travailleur, marié, père de deux enfants, et tuteur de sa folle de sœur ?
continua Raubal. Quatre-vingt-dix kronen par mois. Alors ne venez pas me parler
de votre amitié avec la pauvreté. Dix-neuf ans, poursuivit Raubal en s’adressant
au prêtre, et un millier de kronen à sa disposition !
— Une fortune, approuva l’évêque.
— La vie est chère à Vienne, dit Kubizek,
les yeux fixés sur sa bière.
— L’argent, ça donne des microbes, dit
Paula, en allant s’asseoir sur une chaise de la cuisine, à la manière furtive d’un
petit chat. Des tas de microbes qui vous courent sur la peau.
Raubal dévisagea un instant sa belle-sœur, puis
se tourna vers l’évêque.
— Et voilà ce que je dois endurer.
— Ah, rien n’est jamais facile, répondit
le vieux prêtre.
Angela revint dans le salon et reprit le bébé
des bras de tante Johanna. Hitler regarda Geli se tortiller et ouvrir grand la
bouche avant de pousser un drôle de petit cri fatigué, comme un gond qui a
besoin d’être graissé.
— Elle a faim, dit Angela.
Elle s’installa sur le divan et
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