La parfaite Lumiere
à toute
vitesse, il lui fallut une heure pour atteindre la barrière, laquelle avait
fermé à six heures ainsi que les salons de thé de part et d’autre. L’air assez
affolé, Musashi s’approcha d’un vieil homme en train d’empiler des tabourets
devant sa boutique.
— Qu’est-ce qui vous arrive,
mon bon monsieur ? Vous avez oublié quelque chose ?
— Non. Je cherche une jeune
femme et un petit garçon qui sont passés par ici, il y a quelques heures de
cela.
— Ça ne serait pas la jeune
fille qui ressemblait à Fugen sur une vache ?
— C’est elle ! répondit
Musashi sans réfléchir. On me dit qu’un rōnin l’a emmenée quelque part.
Savez-vous de quel côté ils sont allés ?
— A vrai dire, je n’ai pas
assisté moi-même à l’incident, mais j’ai appris qu’ils avaient quitté la route
principale à la « butte aux têtes enfouies ». Ça devrait les conduire
aux environs de l’étang de Nobu.
Musashi n’avait pas la moindre
idée de l’identité du ravisseur d’Otsū ni de la raison du rapt. A aucun
moment le nom de Matahachi ne lui vint à l’esprit. Il se figurait qu’il
s’agissait d’un de ces bons à rien de rōnins, pareils à ceux qu’il avait
rencontrés à Nara. Ou peut-être un des maraudeurs connus pour hanter les bois
d’alentour. Il espérait que c’était un filou minable, plutôt qu’un des voyous
qui faisaient métier d’enlever les femmes pour les vendre, et dont on savait
qu’ils pouvaient être dangereux.
Il courut, courut, à la recherche
de l’étang de Nobu. Une fois le soleil couché, il n’y voyait plus à un mètre,
même avec les étoiles qui brillaient. La route commençait à monter ; il se
crut sur les contreforts du mont Koma.
N’ayant rien vu qui ressemblât à
un étang, et craignant d’être sur la mauvaise route, il s’arrêta et regarda
autour de lui. Dans l’océan de ténèbres, il put distinguer une ferme isolée et
un rideau d’arbres, dominés par la sombre montagne.
En se rapprochant, il constata que
la maison était vaste et solidement construite, bien que de la mousse poussât
sur le toit de chaume, et que le chaume lui-même fût en décomposition. Dehors,
il y avait de la lumière – torche ou feu, il n’aurait su le dire – et,
près de la cuisine, une vache tachetée. Il était sûr qu’il s’agissait de
l’animal qu’avait monté Otsū.
Il s’approcha à pas de loup, en
restant dans l’ombre. Lorsqu’il fut assez près pour distinguer l’intérieur de
la cuisine, il entendit une forte voix masculine qui venait d’un hangar,
par-delà des tas de paille et de bois de chauffage.
— Laisse là ton travail,
mère, disait l’homme. Tu n’arrêtes pas de te plaindre que tu as de mauvais
yeux, mais tu continues à travailler dans le noir.
Il y avait du feu dans l’âtre de la
salle, à côté de la cuisine, et Musashi croyait entendre le bourdonnement d’un
rouet. Au bout d’une ou deux secondes, le bruit cessa, et il entendit quelqu’un
aller et venir. L’homme sortit du hangar, dont il ferma la porte derrière lui.
— ... J’arrive aussitôt que
je me serai lavé les pieds ! cria-t-il. Tu peux mettre le dîner en train.
Il posa ses sandales sur une
pierre, au bord d’un ruisseau qui coulait derrière la cuisine. Comme il était
assis, à se rincer les pieds dans l’eau, la vache approcha sa tête de son
épaule. Il lui caressa le mufle.
— ... Mère ! cria-t-il,
viens ici une minute. J’ai fait une vraie trouvaille aujourd’hui. Que crois-tu
que ce soit ?... Une vache ; et une belle.
Musashi dépassa silencieusement la
porte du devant de la maison. Tapi sur une pierre, sous une fenêtre latérale,
il épiait la grand-salle. La première chose qu’il vit fut une lance, pendue à
un râtelier noirci près du sommet du mur, une belle arme polie et soignée avec
amour. Des fragments d’or luisaient doucement sur le cuir de son fourreau.
Musashi ne savait qu’en penser ; ce n’était pas le genre d’objet que l’on
rencontre généralement dans les fermes. Les fermiers n’avaient pas le droit
d’avoir des armes, même s’ils pouvaient se les offrir.
L’homme apparut un instant à la
lumière du feu extérieur. Au premier coup d’œil, Musashi sut qu’il ne
s’agissait pas d’un paysan ordinaire. Il avait les yeux trop brillants, trop
vifs. Il portait un kimono de travail qui lui arrivait aux genoux, et des
guêtres maculées de boue. Sa face était
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