La Perle de l'empereur
Aldo s’accorda un instant de solitude en compagnie d’une cigarette avant de rejoindre Vauxbrun. Il n’y avait pas à se tromper sur le sens exact des paroles du policier : il lui était bel et bien enjoint de ne pas quitter Paris et s’il était une chose dont il avait horreur c’était de se voir assigné à résidence. Combien de temps cela allait-il durer ? Il n’était certes pas inquiet pour ses affaires : Guy Buteau, qui avait été son précepteur avant de devenir son fondé de pouvoir (3) , était très capable de les mener sans lui pendant un certain temps et, depuis l’admirable invention de Graham Bell, converser sur longue distance était devenu possible. À condition, évidemment, de savoir se montrer patient. Mais il y avait Lisa dont il détestait être séparé plus de trois ou quatre jours et il savait qu’il en était de même pour elle. L’idée qu’elle pouvait rentrer sans qu’il soit là pour l’accueillir lui était insupportable. Conclusion : il fallait se tirer de ce mauvais pas le plus vite possible !
Mais comment ? Remettre la perle à Langlois en lui donnant le fin mot de l’histoire ? Masha ne serait pas d’accord. Héritière normale avec le reste de la tribu de l’enfant prodigue, elle la lui avait confiée, à lui Morosini, en lui disant de la vendre et de s’en servir pour faire le bien, mais cela allait durer combien de temps ? Aldo se voyait mal organiser subitement une vente à l’hôtel Drouot ou à Galliera sans que la police bouge une oreille…
Sa cigarette finie, il retourna vers Gilles en se demandant s’il l’avait attendu mais il était bien là, rêvassant, les yeux mi-clos, un demi-sourire aux lèvres au-dessus de son verre de chablis. Il ouvrit un œil quand Morosini se rassit en face de lui :
— Je commençais à me demander si on t’avait mis les menottes ou pas.
— À voir ta mine béate ça m’étonnerait ! Tu ne pensais sûrement pas à moi. Et tu devrais, parce que je suis dans le pétrin.
— Raconte !
Aldo fit un bref résumé de son entretien avec le commissaire en terminant son exposé par un « qu’est-ce que tu ferais à ma place ? »
— Je ne sais pas. Le plus petit bon sens voudrait que tu coures après Langlois pour lui remettre la damnée perle mais tel que je te connais je ne te vois pas rentrer bourgeoisement chez toi sans savoir qui a tué ce pauvre bougre et sans la certitude que ses assassins sont en cabane. En outre, en ce qui me concerne, je te défends de faire la moindre peine à quelque Vassilievich que ce soit et à la sœur de Varvara moins qu’à tout autre…
— C’est ce qui s’appelle un conseil judicieux ! grogna Morosini. Si c’est tout ce que tu as trouvé, merci beaucoup ! Je suppose que tu vas là-bas ? ajouta-t-il en voyant Vauxbrun vider son verre et se lever.
— Tu supposes juste ! Et tu devrais venir avec moi… ne fût-ce que pour entendre Masha chanter « Les deux guitares ». Un moment de pur bonheur !
— Non merci ! Mieux vaut qu’on ne me voie pas trop au Schéhérazade. Ce bon commissaire est très capable de me faire surveiller. Dis à Masha ce qu’il en est et tu me donneras sa réponse… Mais je la connais d’avance : elle n’acceptera jamais que le joyau qui a coûté la vie à son petit frère soit remis à la police ! Question d’éthique !
Vauxbrun envolé vers ses amours, Aldo rejoignit le bar de la rue Cambon, celui des deux bars du Ritz qu’il préférait. Franck, le chef barman qui était la mémoire du Tout-Paris et de divers autres lieux l’accueillit avec le sourire respectueux et un rien complice qu’il réservait à ses meilleurs clients :
— Une fine à l’eau comme d’habitude, Excellence ?
— Non, Franck ! Sans eau et dans un grand verre !
Au lieu de s’asseoir à une table, Morosini s’était installé sur l’un des hauts tabourets proches du comptoir d’acajou et y plantait ses deux coudes en homme qui a l’intention de rester là un moment. Le sourcil subtilement surpris avec une nuance désapprobatrice, Franck ne se précipita pas sur ses bouteilles.
— Hum ! Monsieur le Prince pense qu’il a besoin de quelque chose d’efficace ?
— C’est exactement cela ! Pas d’eau !
— Pourquoi pas un cocktail en ce cas ? Un Corpse Reviver par exemple ?
Aldo se mit à rire :
— Je sais que vous êtes le roi du cocktail des deux continents, Franck (4) , mais pensez-vous vraiment que j’aie
Weitere Kostenlose Bücher