La Perle de l'empereur
description n’eut pas l’air d’éveiller un souvenir quelconque chez la chanteuse.
— Cela ne me dit rien, cependant je me souviendrai de ce portrait. De toute façon nous serons peut-être appelés à nous revoir. L’enquête des policiers débute.
— Je n’ai pas besoin d’elle pour avoir envie de vous revoir… si vous le permettez, fit Aldo avec un sourire qui trouva un écho sur le visage impassible et désolé. Je retournerai au Schéhérazade pour vous entendre chanter avant de rentrer à Venise…
Il baisa la main qu’elle lui tendait et allait se retirer. Encore une fois elle le retint :
— Votre ami l’antiquaire, fit-elle avec un sourire malicieux, dites-lui qu’il ne faut pas qu’il se fasse d’illusions au sujet de Varvara. Elle a été aimable avec lui hier parce qu’il fallait le séparer de vous mais elle est fiancée à l’un des nôtres, Tiarko. Il est en Hongrie en ce moment mais il va revenir… et il joue facilement du couteau…
Se souvenant de la danse sensuelle de la belle Varvara, Aldo pensa que, lorsqu’il était près d’elle, le Tiarko en question devait vivre en permanence avec le couteau entre les dents, ce qui devait être bien incommode dans la vie quotidienne. Il garda ses réflexions pour lui, se contentant d’affirmer qu’il avertirait Gilles.
Il le fit quelques heures plus tard en dînant en face de lui au grill-room du Ritz. Fermement décidé à faire honneur au caviar du Schéhérazade, Vauxbrun tenait à manger légèrement, d’où le choix du grill plutôt que du restaurant.
— Tu as vraiment l’intention d’y aller tous les soirs ? fit Aldo en voyant son ami chipoter d’un couvert négligent sa sole grillée. Tu vas te détruire la santé, négliger tes affaires, te ruiner en partie, finir par te suicider peut-être et tout ça pour rien !
— Rengaine ta boule de cristal tu n’as jamais été voyant, que je sache…
— Non, mais je suis renseigné. Petite question d’abord : qu’as-tu fait hier soir après mon départ ?
Cessant de torturer son poisson, Gilles Vauxbrun leva sur son ami un regard lourd :
— Pas grand-chose, il faut bien l’avouer. Le billet de Varvara me priait de l’attendre à la sortie. Ce que j’ai fait mais je n’ai eu droit qu’à une brève apparition. Juste le temps de me dire quelle éprouvait pour moi une très vive… sympathie et qu’elle aimerait que nous nous connaissions mieux mais que, pour l’instant, tout rapprochement était difficile.
— Et cela ne risque pas de s’arranger. Elle t’a parlé de Tiarko ?
— Qui c’est celui-là ?
— Son… fiancé mais je dirais plutôt son amant : un Hongrois, absent pour le moment, qui se promène partout avec un couteau coincé dans les molaires.
— Pour quoi faire ?
— À ton avis ? Othello doit être un apprenti à côté de lui.
Cette fois Vauxbrun ne mangeait plus du tout :
— D’où sors-tu cette histoire ?
— C’est que moi j’ai eu une nuit passionnante, mon bon. Tu étais tellement parti dans tes rêves que tu ne m’as même pas demandé pourquoi je t’avais quitté un peu vite…
— C’est vrai, ça. Où es-tu allé ? demanda l’antiquaire sur le ton poli de celui qui s’en fiche complètement.
De façon aussi brève que possible, Aldo raconta sa nuit et sa visite rue de Clignancourt. Sortant de l’ordinaire, le récit réussit à capter l’attention de Gilles mais il en retint surtout que son ami était désormais au mieux avec la sœur aînée de sa bien-aimée.
— Merveilleux ! s’écria-t-il. Grâce à toi j’aurai à présent un pied dans la place car, bien sûr, je vais t’aider à vendre ton caillou.
— Une perle n’a rien à voir avec un caillou et, si tu veux bien, c’est moi que ça regarde. Quant à tes futures relations, tu me parais décidé à ne tenir aucun compte de ce que je t’ai dit touchant ce Tiarko ?
Le sourire fat qui s’épanouit sur le visage olympien de l’antiquaire donna à Morosini une furieuse envie de lui assener quelques claques pour le ramener sur terre.
— Mon cher, à vaincre sans péril on triomphe sans gloire et Varvara vaut la peine que l’on rompe les lances en son honneur.
— Ce sont tes os que tu risques de rompre, imbécile ! Mais ne compte pas sur moi pour ramasser les morceaux… Ah, Olivier ? Vous voulez parler à l’un de nous ?
La fin de la phrase s’adressait au solennel Olivier Dabescat, maître d’hôtel
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