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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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ont dit : de Linnières. Hein, la châtellenie s’est bien défendue, pour cette fois ! » et il tapait de toutes ses forces sur la cuisse de son frère.
    Haguenier riait aussi de joie pour Ernaut. Il ne tenait pas à gâcher la joie de ses frères, et plaisantait sur son accident. « Au moins, disait-il à Ernaut, vous, vous avez bien défendu notre maison. Et à quand la noce, maintenant ? » Ernaut se rembrunit. « À la Noël d’été, il faut le croire. Vous savez ce que Joceran m’a dit, le chien ?
    — Eh oui, dit Pierre, vous savez ce qu’il a dit ? Mot pour mot : beau cousin, ce qui est bon pour une dame ne l’est pas pour une demoiselle ; je veux la marier bien, je ne tiens pas à ce qu’on parle d’elle dans les tournois.
    — C’est un rustre, dit Haguenier. Mais ne vous en faites pas : maintenant que vous voilà si bon chevalier la jeune fille vous aimera en dépit du père. »
    Puis les deux bâtards se mirent à discuter de l’accident de leur frère : tous deux soutenaient que le coup avait été mal porté, contre toutes les règles, peut-être même l’homme l’avait-il fait exprès, on l’aurait payé pour le faire ; tous deux étaient au courant de l’histoire de l’écharpe pourpre, et croyaient dur comme fer que les deux barons avaient machiné quelque chose pour gâcher le tournoi du jeune homme ; au fond, ils étaient très fiers de l’honneur que la dame de Mongenost avait fait à leur frère ; et l’idée que l’échec d’Haguenier était dû à la rancune du puissant comte de Bar leur paraissait plutôt flatteuse. « Tout le monde le dit, on a jeté un sort à votre cheval, disait Pierre, car de meilleur cheval, il n’y en a pas d’ici jusqu’à Reims. Joubert, l’écuyer chef du père, l’a dressé et éprouvé lui-même et jamais il ne l’a vu avoir peur.
    — Et pour l’homme au coup de lance, disait Ernaut, on devrait le renvoyer aux cuisines, car de plus mauvais coup, il n’y en a pas eu dans tout le tournoi. On devrait lui enlever ses éperons, pour ce coup-là. »
    À ce moment, avec un bruit de rire guttural, d’étoffes froissées, de respiration haletante, Aielot parut, soulevant la lourde portière d’entrée, et la petite chambre parut, du coup, deux fois plus petite ; une grande femme semble toujours occuper beaucoup plus de place qu’un homme ; Aielot, avec sa longue robe, son manteau à plis lourds, ses énormes tresses, l’odeur presque écœurante de ses parfums, sembla absorber brusquement tout l’air de la pièce. « Comme elle ressemble au père », pensa Haguenier. Les deux bâtards s’étaient levés pour la saluer, mais elle ne fit pas semblant de les voir, s’assit sur le lit de son frère et l’embrassa sur les deux joues. « Niot ! dit-elle. Oh ! J’ai eu tant de peine. J’en ai pleuré de rage. » Elle se passa la main sur les yeux. Puis, tressaillant brusquement, elle se tourna vers les deux frères – eux fixaient un œil dur sur cette fille qui ne savait rien oublier ; et de fait, il était étrange de voir comme ces splendides et lourdes prunelles savaient brûler de haine et de mépris. « Encore ici, les petits gars ? demanda-t-elle, d’une voix toute sifflante de colère. Vous ne les renvoyez pas, frérot ? – Oh ! Nous nous en allons, dame, dit Pierre. On n’est pas payé pour vous écouter, n’ayez crainte. »
    … « Partis, les chiots, dit Aielot, en s’étirant. Peuh ! Ça me rend malade, rien que de voir leurs groins. Ils sont bien contents, hein ? Ernaut a dû en pisser de joie dans sa culotte de paysan. Ils ne se tiennent pas de joie, de vous voir ainsi, l’épaule démise, je vois ça à leurs sales yeux de chiens. » Elle cracha par terre et s’essuya la bouche. « Mais ça ne leur profitera pas. Ils ne riront pas longtemps, les petits gaillards.
    — N’en parlez pas, ce sont mes amis, sœurette », dit Haguenier.
    La jeune femme éclata de rire : « Niot, comme vous êtes simple, vrai ! Des amis, ça ? Est-ce que ça sait ce que c’est que l’amitié ? Des vilains ! Ils vendront au père chaque mot de trop que vous aurez dit. Ils savent flatter, ça oui. Ils ont eu le père par là. Moi, je ne l’ai jamais flatté. Ne vous y fiez pas, à ces petits serpents. Quand notre mère était à la mort et râlait, l’Isabeau était dans le lit du père et je les entendais rire ensemble, et Pierre, tu crois qu’il ne l’entendait pas, et qu’il n’en

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