La Poussière Des Corons
grands amis, des compagnons de jeux inséparables. Ils
se roulent par terre ensemble, et le petit rit aux éclats lorsque Pompon, à
grands coups de langue, lui lèche le visage.
Jean et Marcelle n’ont pas oublié d’aller présenter leur
fils à la femme guérisseur du village voisin, peu après sa naissance. Elle a
été heureuse de les voir, a béni l’enfant, et a donné, pour lui, une médaille
qu’il porte au cou, avec une fine chaîne.
Moi, de mon côté, je deviens doucement une vieille femme. Je
viens d’avoir soixante-deux ans. Mes cheveux sont tout gris, et, lorsque le
temps est humide, mes rhumatismes me font souffrir. Cela fait dix ans
maintenant que je vis sans Charles, que je vis à moitié. Le temps, peu à peu, a
rendu ma peine moins vive, mais elle ne me quitte jamais.
Jean est toujours passionné par son métier. Mais, les puits
ferment, l’un après l’autre. Il paraît que le charbon français revient trop
cher, l’énergie qui nous vient de l’étranger est meilleur marché. Les mineurs
le ressentent comme une injure ; il y a encore, disent-ils, beaucoup de
charbon à extraire. Et puis, ajoutent-ils, pourquoi fermer au moment où, avec
la modernisation, le travail devient plus facile ?… Jean, avec tristesse, m’explique
que les travaux de modernisation, justement, coûtent très cher. Il s’y ajoute l’augmentation
du coût du matériel et des charges salariales, ce qui pèse lourdement sur le
prix de revient du charbon. Alors, je m’interroge et je m’inquiète : avec
les mesures de récession qui sont prévues, y aurait-il de moins en moins de mineurs ?
Pourtant, lorsque je regarde en arrière, et que je compare
leur vie à celle de mon père, je peux mesurer les progrès accomplis. Il y a
maintenant les congés payés, que mon père n’a jamais connus, les centres de
vacances. Nombreux sont ceux, dans le coron, qui ont la télévision, et même une
voiture. Leur vie semble moins dure, leur métier moins dangereux. Malgré tout, il
y a encore des accidents ; et la silicose, si elle est reconnue comme
maladie professionnelle et soignée comme telle, reste la même asphyxie lente, implacable
et meurtrière.
Ma vie a été, dès ma naissance, conditionnée par la mine, et
je ne peux pas l’imaginer autrement. J’ai toujours vécu au milieu de ces
maisons groupées, serrées à l’ombre de l’immense chevalement qui les domine. C’est
là que je suis née, c’est là mon pays, c’est là que je mourrai. J’ai toujours
vécu, aussi, au milieu des mineurs, et j’ai aimé ce peuple rude, courageux, sincère,
pour qui la solidarité, l’amitié ne sont pas de simples mots mais des valeurs
réelles, profondes.
C’est au milieu d’eux que je finirai ma vie, dans la petite
maison où j’ai été heureuse avec Charles. J’aime leur présence autour de moi. J’ai
aussi l’affection de mes enfants, qui m’est très douce, l’amour de mon grand
fils, de Marcelle et de mon petit-fils. Il va déjà à l’école ; à son tour,
il apprendra à lire, à écrire. Il aura sa propre existence, son propre combat à
mener. Mais, pour le moment, c’est encore un enfant insouciant, et j’espère qu’il
le restera le plus longtemps possible.
Je suis reconnaissante à la vie de me permettre de voir
vivre le fils de mon fils. Une tendre complicité nous unit. Souvent, il vient
sur mes genoux, se blottit contre moi, et me réclame une histoire. Alors je lui
raconte les histoires qui ont enchanté mon enfance, et il m’écoute avec gravité,
presque religieusement. Je serre son petit corps chaud contre moi, et je suis
heureuse.
Mes dernières années s’écouleront ainsi, douces, paisibles. Et
quand le moment sera venu d’aller rejoindre mon cher Charles qui m’a tant aimée,
je partirai, sereine, sans aucun regret. Il me tendra les bras, et nous ne
ferons plus qu’un, à jamais.
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[1] Le briquet est le casse-croûte du mineur.
[2] Cafus : on nommait ainsi les fillettes et les jeunes filles employées au
criblage
[3] Na zdrowie : À votre santé
[4] Jules Moch, qui avait envoyé la troupe et les C.R.S., fut surnommé par les
mineurs le Matraqueur .
[5] Fouan : en patois, une taupe.
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