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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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dit :
    — Messire Bersumée, savez-vous
qui, désormais, vous gardez ?
    Bersumée détourna les yeux comme
s’il cherchait un objet autour de lui.
    — Je le sais, Madame, je le
sais, répondit-il, et ne cesse d’y penser, depuis ce matin que le chevaucheur
qui allait vers Criquebœuf et Rouen m’a fait éveiller.
    — Voilà sept mois que je suis
recluse ici ; je n’ai point de linge, point de meubles, point de
draps ; je mange la même bouillie que vos archers, et je n’ai qu’une heure
de feu par jour.
    — J’ai obéi aux ordres de
messire de Nogaret, Madame, répondit Bersumée.
    — Guillaume de Nogaret est
mort.
    — Il m’avait envoyé les instructions
du roi.
    — Le roi Philippe est mort.
    Devinant où Marguerite voulait en
venir, Bersumée répliqua :
    — Mais Monseigneur de Marigny
est toujours vivant, Madame, qui commande la justice et les prisons comme il
commande toutes choses au royaume, et de qui je dépends pour tout.
    — Le chevaucheur de ce matin ne
vous a donc point porté de nouveaux ordres ?
    — Aucun, Madame.
    — Vous n’allez point tarder à
en recevoir.
    — Je les attends, Madame.
    Robert Bersumée paraissait plus âgé
que ses trente-cinq ans. Il offrait cette mine soucieuse, bougonne, que
prennent volontiers les soldats de carrière et qui, à force d’être affectée,
leur devient naturelle. Pour le service ordinaire dans la forteresse, il
portait un bonnet de peau de loup et une vieille cotte de mailles un peu lâche,
noircie par la graisse, et qui blousait autour du ceinturon. Ses sourcils se
rejoignaient au-dessus du nez.
    Marguerite, au début de sa
captivité, s’était presque sans détours offerte à lui, dans l’espoir de s’en
faire un allié. Il avait esquivé devant chaque avance, moins par vertu que par
prudence. Mais il conservait rancune à Marguerite pour le mauvais rôle qu’elle
lui avait fait tenir. Aujourd’hui, il se demandait si cette sage conduite lui
vaudrait personnellement faveur ou représailles.
    — Cela ne m’a point été
plaisir, Madame, reprit-il, que d’avoir à infliger tels traitements à des
femmes… et de si haut rang que vous l’êtes.
    — Je l’imagine, messire, je
l’imagine, répondit Marguerite, car on sent en vous le chevalier, et les choses
qu’on vous a commandées ont dû fort vous répugner.
    Le capitaine de forteresse sortait
du commun peuple ; aussi n’entendit-il pas sans quelque plaisir ce mot de
chevalier.
    — Seulement, messire,
poursuivit la prisonnière, je suis lasse de mâcher du bois pour me garder les
dents blanches et de m’oindre les mains du lard de ma soupe pour que ma peau
n’éclate pas de froid.
    — Je comprends, Madame, je
comprends.
    — Je vous saurais gré de me
faire désormais tenir à l’abri du gel, de la vermine et de la faim.
    Bersumée baissa la tête.
    — Je n’ai point d’ordres,
Madame.
    — Je ne suis ici que par la
haine que me vouait le roi Philippe, et son trépas va tout changer, reprit
Marguerite avec une belle assurance. Allez-vous attendre qu’on vous commande de
m’ouvrir les portes pour témoigner quelque égard à la reine de France ? Ne
croyez-vous pas que ce serait agir assez sottement contre votre fortune ?
    Les militaires sont souvent de
naturel indécis, ce qui les prédispose à l’obéissance et leur fait perdre
beaucoup de batailles. Bersumée, s’il avait pour ses subordonnés l’injure
prompte et le poing leste, ne possédait pas de grandes dispositions à
l’initiative devant les situations imprévues.
    Entre le ressentiment d’une femme
qui, selon ce qu’elle affirmait, serait toute-puissante demain, et la colère de
Monseigneur de Marigny qui était tout-puissant aujourd’hui, quel risque
devait-il choisir ?
    — Je voudrais aussi que Madame
Blanche et moi, dit Marguerite, puissions sortir une heure ou deux de cette
enceinte, sous votre conduite si vous le croyez bon, et voir autre chose que
les créneaux de ces murs et les piques de vos archers.
    C’était aller trop vite, et trop
loin. Bersumée éventa la ruse. Ses prisonnières cherchaient à communiquer avec
l’extérieur, et peut-être même à lui filer entre les doigts. Donc, elles
n’étaient pas tellement assurées de leur retour en cour.
    — Puisque vous êtes reine,
Madame, vous comprendrez que je sois fidèle au service du royaume, dit-il, et
que je ne puisse enfreindre les règlements qui m’ont été donnés.
    Il sortit là-dessus, pour

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