La Reine étranglée
d’Artois !
s’écria-t-elle d’une voix de colère. Si réduite à misère que vous me trouviez
ici, je ne tolère pas encore qu’un homme soit assis en ma présence, quand je ne
le suis pas !
Il se releva lentement, ôta son
chaperon et salua, d’un large mouvement ironique. Marguerite se détourna vers
la fenêtre ; dans la lame de lumière qui en venait, Robert put mieux
distinguer le visage de sa victime. Les traits avaient conservé leur
beauté ; mais toute douceur en était disparue. Le nez était plus maigre,
les yeux plus enfoncés. Les fossettes qui le printemps dernier se creusaient au
coin des joues ambrées étaient devenues de toutes petites rides. « Allons,
se dit d’Artois, elle a gardé de la défense. Le jeu n’en sera que plus
divertissant. » Il aimait avoir à lutter pour triompher.
— Ma cousine, dit-il avec une
feinte bonhomie, je n’avais point dessein de vous insulter ; vous vous
êtes méprise. Je voulais savoir simplement si vos cheveux étaient redevenus
assez longs pour que vous puissiez vous présenter au monde.
Marguerite ne put refréner un
mouvement de joie.
«… Me présenter au monde… Cela veut
donc dire que je vais sortir. Suis-je graciée ? Est-ce le trône qu’il
m’apporte ? Non, ce n’est point cela, il me l’aurait annoncé aussitôt…»
Elle pensait trop vite et se sentait
vaciller.
— Robert, dit-elle, ne me
faites point languir. Ne soyez pas cruel. Qu’êtes-vous venu me dire ?
— Ma cousine, je suis venu vous
délivrer…
Blanche poussa un cri, et Robert
pensa qu’elle allait tomber en pâmoison. Il avait laissé sa phrase en suspens.
— … un message,
acheva-t-il.
Il prit plaisir à voir s’affaisser
les épaules des deux femmes, et à entendre deux soupirs de déception.
— Un message de qui ?
demanda Marguerite.
— De Louis, votre époux, notre
roi désormais. Et de notre bon cousin Monseigneur de Valois. Mais je ne puis
parler qu’à vous seule. Blanche veut-elle se retirer ?
— Certes, dit Blanche avec
soumission, je vais me retirer. Mais avant, mon cousin, laissez-moi savoir…
Charles, mon mari ?
— La mort de son père l’a fort
blessé.
— Et de moi… que
pense-t-il ? Parle-t-il de moi ?
— Je crois qu’il vous regrette,
en dépit de ce qu’il a souffert par vous. Depuis Pontoise, on ne l’a jamais vu
gai comme il était avant.
Blanche fondit en larmes.
— Croyez-vous, demanda-t-elle,
qu’il me donne mon pardon ?
— Cela dépend beaucoup de votre
cousine, répondit d’Artois en désignant Marguerite.
Il alla ouvrir la porte, suivit
Blanche des yeux tandis qu’elle montait vers le second étage, referma. Puis il
vint s’asseoir sur un étroit siège de pierre maçonné dans le flanc de la
cheminée, en disant :
— Vous permettez à présent, ma
cousine ?… Il faut avant tout que je vous instruise des choses de la cour,
comme elles vont en ce moment.
Le courant d’air glacial qui venait
par la hotte le fit se relever.
— C’est vrai qu’on gèle ici,
dit-il.
Et il alla se replanter sur
l’escabeau, tandis que Marguerite s’asseyait, jambes repliées, sur le bat-flanc
couvert de paille qui lui servait de couche. D’Artois reprit :
— Depuis ces derniers jours que
le roi Philippe agonisait, Louis, votre époux, paraît en pleine confusion.
S’éveiller roi, quand on a dormi prince, demande un peu d’accoutumance. Son
trône de Navarre, il ne l’occupait guère que de nom, et tout s’y commandait
sans lui. Vous me direz que Louis a vingt-cinq ans et qu’à cet âge on peut
régner ; mais vous savez tout comme moi que le jugement, sans lui faire
injure, n’est point la qualité par laquelle il brille. Donc, en ce premier
temps, son oncle Charles de Valois le seconde en tout, et dirige les affaires avec
Enguerrand de Marigny. L’ennui, c’est que ces deux puissants esprits s’aiment
peu, et entendent mal ce que l’un dit à l’autre. On voit même que bientôt ils
ne s’entendront plus du tout, ce qui ne saurait durer beaucoup, car le chariot
du royaume ne peut être tiré par deux chevaux qui se battent dans les traits.
D’Artois avait complètement changé
de ton. Il parlait posément, nettement, montrant par là que dans la turbulence
de ses entrées il mettait une bonne part de comédie.
— Pour moi, vous le savez,
reprit-il, je n’aime pas fort Enguerrand, qui m’a beaucoup nui, et je soutiens
de plein cœur mon cousin Valois, dont je
Weitere Kostenlose Bücher