Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
suis l’ami et l’allié en tout.
    Marguerite s’appliquait à saisir ces
intrigues dans lesquelles d’Artois la replongeait brusquement. Elle n’était plus
au courant de rien, et il lui semblait sortir d’un long sommeil de la pensée.
    — Louis me hait-il
toujours ?
    — Ah ! Ça oui, je ne vous
le cache pas, il vous hait bien ! Avouez qu’il y a de quoi. La paire de
cornes dont vous lui avez décoré la tête le gêne assez pour mettre par-dessus
la couronne de France. Remarquez, ma cousine, si c’était à moi qu’on en eût
fait autant, je n’aurais point été le clabauder dans tout le royaume. J’aurais
agi de sorte que je pusse feindre que mon honneur était sauf. Mais enfin votre
époux et feu le roi votre beau-père en jugeaient autrement, et les choses en
sont au point qu’elles sont.
    Il avait bel aplomb à déplorer un
scandale qu’il s’était ingénié, par tous les moyens, à faire éclater. Il
poursuivit :
    — La première idée de Louis,
après qu’il ait vu son père froid, et la seule qu’il ait en tête pour le
moment, c’est de sortir de l’embarras où il est par votre faute, et d’effacer
la honte dont vous l’avez couvert.
    — Que veut Louis ? demanda
Marguerite.
    D’Artois souleva sa jambe
monumentale et frappa le dallage, deux ou trois fois, du talon.
    — Il veut demander l’annulation
de votre mariage, répondit-il, et vous voyez qu’il la souhaite rapidement
puisqu’il n’a pas traîné à me dépêcher vers vous.
    « Ainsi, je ne serai jamais reine
de France », pensa Marguerite. Les rêves insensés dont elle avait voulu se
bercer depuis la veille étaient déjà anéantis. Une journée de rêve pour sept
mois de prison… et pour toute la vie !
    À ce moment deux soldats entrèrent
chargés de bois et de fagots, et allumèrent le feu.
    Dès qu’ils furent sortis,
Marguerite, avidement, vint tendre les mains aux flammes qui s’élevaient,
couleur de géranium, sous la grande hotte de pierre. Elle demeura silencieuse
quelques instants, se laissant pénétrer du bienfait de la chaleur.
    — Eh bien, dit-elle enfin avec
un soupir, qu’il demande l’annulation ; qu’y puis-je ?
    — Eh ! Ma cousine, vous y
pouvez beaucoup justement, et l’on est prêt à vous savoir gré de quelques
paroles qui ne vous coûteraient guère. Il se trouve que l’adultère n’est point
motif d’annulation ; c’est absurde, mais c’est ainsi. Vous pourriez avoir
eu cent amants au lieu d’un, et même être allée vous rouler en bordeau, vous
n’en seriez pas moins toujours indissolublement mariée à l’homme auquel vous
vous êtes unie par-devant Dieu. Interrogez le chapelain, ou qui vous plaira.
Moi-même, je me suis fait expliquer ces choses, car je ne suis guère savant en
droit canon. Un mariage ne se rompt point, et si l’on veut le casser, il faut
prouver qu’il y avait empêchement à ce qu’il fût contracté, ou bien encore
qu’il n’a pas été consommé. Vous suivez mon propos ?
    — Oui, oui, je vous entends,
dit Marguerite.
    — Alors voici, reprit le géant,
ce que Monseigneur de Valois a imaginé pour tirer Louis d’affaire.
    Il prit un temps, se racla la gorge.
    — Vous acceptez de reconnaître
que votre fille Jeanne n’est point de Louis ; vous reconnaissez que vous
vous êtes toujours refusée de corps à votre époux, et qu’ainsi il n’y a pas eu
vraiment mariage. Vous déclarez cela tout benoîtement devant moi et devant
votre chapelain qui contresigne. On trouvera sans peine, parmi vos anciens
serviteurs ou familiers, quelques témoins de complaisance pour certifier la
chose. De la sorte le lien ne peut plus être défendu, et l’annulation va de soi.
    — Et que m’offre-t-on en
échange ?
    — En échange ? répéta
d’Artois. En échange, ma cousine, on vous offre d’être conduite dans quelque
couvent du duché de Bourgogne, jusqu’à ce que l’annulation soit prononcée, et
ensuite de vivre comme il vous siéra ou comme il siéra à votre famille.
    Dans le premier mouvement,
Marguerite faillit répondre : « J’accepte ; je déclare et signe
tout ce qu’on veut, à condition que je sorte d’ici. » Mais elle vit
d’Artois qui l’épiait, paupières mi-closes sur ses yeux gris, avec une dureté
fort peu accordée au ton débonnaire qu’il s’efforçait de prendre. « Je
vais signer, pensa-t-elle, et ensuite on me maintiendra en geôle. »
Puisqu’on venait lui proposer un marché, on

Weitere Kostenlose Bücher