La Sorcière
aux religieuses.
Il y avait partout alors des Ursulines, sœurs vouées à l'éducation, missionnaires femelles en pays protestant, qui caressaient, charmaient les mères, attiraient les petites filles. Celles de Loudun étaient un petit couvent de demoiselles nobles et pauvres. Pauvre couvent lui-même ; en les fondant, on ne leur donna guère que la maison, ancien collège huguenot. La supérieure, dame de bonne noblesse et bien apparentée, brûlait d'élever son couvent, de l'amplifier, de l'enrichir et de le faire connaître. Elle aurait pris Grandier peut-être, l'homme à la mode, si déjà elle n'eût eu pour directeur un prêtre qui avait de bien autres racines dans le pays, étant proche parent des deux principaux magistrats. Le chanoine Mignon, comme on l'appelait, tenait la supérieure. Elle et lui en confession (les dames supérieures confessaient les religieuses), tous deux apprirent avec fureur que les jeunes nonnes ne rêvaient que de ce Grandier dont on parlait tant.
Donc, le directeur menacé, le mari trompé, le père outragé (trois affronts en même famille), unirent leurs jalousies et jurèrent la perte de Grandier. Pour réussir, il suffisait de le laisser aller. Il se perdait assez lui-même. Une affaire éclata qui fit un bruit à faire presque écrouler la ville.
Les religieuses, en cette vieille maison huguenote où on les avait mises, n'étaient pas rassurées. Leurs pensionnaires, enfants de la ville, et peut-être aussi de jeunes nonnes, avaient trouvé plaisant d'épouvanter les autres en jouant aux revenants, aux fantômes, aux apparitions. Il n'y avait pas trop d'ordre en ce mélange de petites filles riches que l'on gâtait. Elles couraient la nuit les corridors. Si bien qu'elles s'épouvantèrent elles-mêmes. Quelques-unes en étaient malades, ou malades d'esprit. Mais ces peurs, ces illusions, se mêlant aux scandales de ville dont on leur parlait trop le jour, le revenant des nuits, ce fut Grandier. Plusieurs dirent l'avoir vu, senti la nuit près d'elles, audacieux, vainqueur, et s'être réveillées trop tard. Était-ce illusion ? Étaient-ce plaisanteries de novices ? Était-ce Grandier qui avait acheté la portière ou risqué l'escalade ? On n'a jamais pu l'éclaircir.
Les trois dès lors crurent le tenir. Ils suscitèrent d'abord dans les petites gens qu'ils protégeaient deux bonnes âmes qui déclarèrent ne pouvoir plus garder pour leur curé un débauché, un sorcier, un démon, un esprit fort, qui, à l'église, « pliait un genou et non deux ; » enfin qui se moquait des règles, et donnait des dispenses contre les droits de l'évêque. — Accusation habile qui mettait contre lui l'évêque de Poitiers, défenseur naturel du prêtre, et livrait celui-ci à la rage des moines.
Tout cela monté avec génie, il faut l'avouer. En le faisant accuser par deux pauvres, on trouva très-utile de le bâtonner par un noble. En ce temps de duel, l'homme impunément bâtonné perdait dans le public, il baissait chez les femmes. Grandier sentit la profondeur du coup. Comme en tout il aimait l'éclat, il alla au roi même, se jeta à ses genoux, demanda vengeance pour sa robe de prêtre. Il l'aurait eue d'un roi dévot ; mais il se trouva là des gens qui dirent au roi que c'était affaire d'amour et fureur de maris trompés.
Au tribunal ecclésiastique de Poitiers, Grandier fut condamne à pénitence et à être banni de Loudun, donc déshonoré comme prêtre. Mais le tribunal civil reprit la chose et le trouva innocent. Il eut encore pour lui l'autorité ecclésiastique dont relevait Poitiers, l'archevêque de Bordeaux, Sourdis. Ce prélat belliqueux, amiral et brave marin, autant et plus que prêtre, ne fit que hausser les épaules au récit de ces peccadilles. Il innocenta le curé, mais en même temps lui conseilla sagement d'aller vivre partout, excepté à Loudun.
C'est ce que l'orgueilleux n'eut garde de faire. Il voulut jouir du triomphe sur le terrain de la bataille et parader devant les dames. Il rentra dans Loudun au grand jour, à grand bruit ; toutes le regardaient par des fenêtres ; il marchait tenant un laurier.
Non content de cette folie, il menaçait, voulait réparation. Ses adversaires, ainsi poussés, à leur tour en péril, se rappelèrent l'affaire de Gauffridi, où le Diable, le père du mensonge, honorablement réhabilité, avait été accepté en justice comme un bon témoin véridique, croyable pour l'Église et croyable pour
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